"Je suis très heureux de recevoir [une personne qui légitime le terrorisme]" (N. Sarkozy)
La réalité dépasse la (mauvaise) fiction. On a déjà rappelé ici la prétendue volonté de rompre avec une politique étrangère qui oubliant souvent ses grands principes, et notamment la sauvegarde et la défense des droits de l'homme, quand l'odeur de la monnaie se faisait tenace. Etienne Longueville a également évoqué ici deux des principaux revirements par rapport à cette prétendue nouvelle doctrine. Mais cette fois-ci, le spectacle donné dépasse l'entendement. Non seulemement Nicolas Sarkozy renie totalement ses engagements de campagne mais il s'enfonce délibérément dans une démarche quasi autistique de défense et même de promotion de l'indéfendable.
Nicolas Sarkozy recevra effectivement le "Guide" lybien Kadhadfi en visite d'Etat (soit le plus haut rang protocolaire) à compter de demain. Malgré les remarques légitimes de l'opposition socialiste en France, les messages d'étonnement envoyés par nos partenaires européens et américains, Nicolas Sarkozy non seulement persiste mais signe : "Je suis très heureux de recevoir Mouammar Kadhafi à Paris". Une réelle complicité semblait même se créer entre les deux hommes, Sarkozy n'hésitant même pas à s'adresser à lui comme à n'importe quel autre chef d'Etat.
Or, que déclarait ce grand homme devenu "fréquentable" par la promesse de quelques contrats le même jour ?
- "Les superpuissances ont violé la légitimité internationale, le droit international et les Nations unies, et ont exécuté leurs décisions en dehors de ce cadre et donc il est normal que les faibles aient recours au terrorisme";
- "Le Conseil de sécurité de l'ONU a imposé une dictature"
et encore quelques autres...
Légitimation du terrorisme dont la France a été victime notamment en 1995, dictature dont la France (l'un des cinq membres permanents) serait l'un des acteurs, voilà les messages pleins d'humanité que le Guide Suprême de Lybie apporte en France à notre compréhensif Président de la République.
Irreal Politik
Pourtant, contrairement à ce que certains zélotes du sarkozysme ambiant pourraient penser, il ne s'agit pas ici de faire le procès de la Realpolitik, que le candidat Sarkozy avait pourtant dressé : "elle fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats" (Strasbourg, novembre 2006). La Realpolitik peut effectivement s'appliquer dans une certaine mesure, l'"idéalisme ou le pacifisme bêlant" comme le dit Pierre Moscovici ne sont pas non plus deux horizons souhaitables. En revanche, cette fois-ci, on dépasse tout à fait les limites de cette définition réaliste de la politique internationale. Au-delà des concessions absolument grotesques que l'on a faites à Kadhafi (rencontrer - sic - 200 Françaises "musulmanes", installer sa tente dans l'enceinte de l'hôtel Marigny, délégation pléthorique...) et que l'on refuse même au Président des Etats-Unis, comment ne pas au moins exprimer une condamnation ferme suite aux propos inqualifiables qu'il vient de tenir ? Comment croire à sa volonté réelle de se réinsérer dans le concert des Nations (seul argument "justifiant" sa visite) quand on prononce un tel discours ?
Les justifications de trop
Face à un tel embarras, on a tout entendu ce week-end pour légitimer cette invitation, du faux bon sens à la remarque ouvertement grotesque ou dangereuse :
1. Et les contrats, ma bonne dame !
On parle de quelques avions et d'une éventuelle centrale nucléaire. Rien de chiffré, rien de précis. Bien évidemment, concernant l'aéronautique en tout cas, la France ne va pas délibérèment rejeter ces commandes. Mais il est proprement inqualifiable d'avoir entendu plusieurs responsables de l'UMP déclarer tout au long du week-end, que vu l'état des finances de la France, ces commandes étaient les bienvenues et qu'elles nécessitaient que l'on se taise sur tout. Tout d'abord, ces commandes ne règlent même pas le problème du commerce extérieur français (avant tout créé par le déficit de R/D et le manque de PME exportratrices) mais en outre cet aveuglement ne garantit en rien les commandes futures.
L'Allemagne est la première puissance exportatrice mondiale. Ses exportations vers la Chine notamment sont d'un montant plus de dix fois supérieur à celui de la France. Cela n'a pas empêché la chancelière Angela Merkel de tenir un discours extrêmement ferme avec la Chine (elle va même recevoir le Dalaï-lama). Elle en a d'ailleurs encore fait la démonstration ce week-end avec le président du Zimbabwe, Robert Mugabe. L'argument des contrats est donc doublement mensonger : sur l'impact réel de ces contrats tout d'abord et le rôle que joue véritablement le Président de la République dans la conclusion de ces mêmes contrats ; sur son opposition catégorique ensuite avec tout discours établissant des principes clairs de respect des droits de l'homme.
A titre de démonstration par l'exemple, en dépit de tout le faste déployé pour recevoir Kadhafi, ce dernier a écarté cette demaine GDF et Total de l'attribution de quatre nouveaux périmètres d'exploration gazière au profit notamment de Shell ou de Gazprom.
2. La perle (un habitué) : "Les infirmières bulgares méritaient bien une visite"
On nous l'avait pourtant promis : "aucune contrepartie". Voilà donc que Jean-Pierre Raffarin, l'auteur de cette remarquable saillie, vend la mèche. Vous libérez les infirmières bulgares et je vous laisse parader librement, le jour de l'anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme, sur les Champs Elysées. Réfléchissons deux minutes. Cela signifierait-il que tout otage français vaudrait tous les renoncements ? Marulanda (le leader des FARC) peut-il être reçu officiellement en France s'il libère Ingrid Betancourt (dont nous souhaitons tous au passage la libération) ? Les preneurs d'otages, les terroristes (encensés par Kadhafi) n'ont qu'à bien se tenir. La repentance en France, on n'aime pas, et ils auront beau comme Kadhafi avoir tuer et torturer des milliers d'innocents dont les infirmières bulgares et le médecin palestinien, s'ils nous signent un petit chèque même en blanc, des comptes, des vrais, sur leurs agissements, ils n'en auront pas à rendre.
La visite est désormais et malheureusement inévitable. Mais on ne peut croire que le Guide suprême libyen soit en outre reçu à l'Assemblée Nationale, enceinte par excellence de l'exercice démocratique dont Kadhafi prive les Lybie depuis plus de 35 ans. Qu'au moins M. Sarkozy entende cette opposition qui sait être audible et refuse de l'accueillir dans cette enceinte.
Compléments :
- lien vers la vidéo du Dr Ashrat Ahmed Gomma El Hagoug lors de son audition par la Commission d'enquête sur la libération des infirmières bulgares mise en place par l'Assemblée nationale, ce médecin torturé pendant plus de sept ans a exhorté la France à ne pas recevoir le colonel Kadhafi comme un chef d'étranger "normal" ;
- lien vers une récente déclaration incroyable de Rama Yade. A ajouter avec les propos de Kouchner, déclarant ne pas vouloir être présent au dîner d'Etat autour de Kahafi. A vrai dire, on ne l'aurait pas remarqué... Le remaniement n'est pas loin...