Suppression de la taxe professionnelle : les sept erreurs de Nicolas Sarkozy

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po


La mesure est la seule véritable annonce concrète de l’intervention de Nicolas Sarkozy hier soir et elle est habile : la suppression de la taxe professionnelle (TP) concentre à elle seule les commentaires et provoque un débat assez vain, comme la France en a souvent l’habitude en matière de fiscalité. Dans le même temps, les vraies questions ne sont pas abordées, notamment en ce qui concerne les insuffisances du plan de relance du Gouvernement.

La TP est, il est vrai, un impôt décrié de longue date et dont le principe d’une réforme d’ampleur fait aujourd’hui consensus. Impôt pénalisant pour les entreprises dites « fortement capitalistiques », il n’en est pas moins une recette fiscale majeure pour les collectivités territoriales (près de la moitié des recettes liées aux impôts directs locaux) qui représente 25 milliards d’euros. Réformé par touches successives ces dernières années, vidé de sa substance diraient certains, cet impôt avait aussi fait l’objet de propositions de réforme intéressantes.

Privilégiant décidément les annonces tonitruantes à une discussion en amont avec les acteurs concernés, pourtant condition essentielle de la réussite d’une réforme équilibrée et ambitieuse de la fiscalité locale, Nicolas Sarkozy a commis sept erreurs majeures hier…

Une erreur de méthode : une annonce sans concertation et un nouvel élément de tension avec les élus en plein débat sur la réforme institutionnelle locale
Alors que les finances des collectivités territoriales sont déjà soumises à de très fortes tensions (des difficultés sérieuses sont survenues dans le bouclage des budgets pour 2009) avec le contrat de stabilité (le paquet global des dotations est désormais strictement indexé sur l’inflation, ce qui marque une perte de « pouvoir d’achat » des collectivités puisque l’indice des prix à la consommation évolue moins rapidement que le prix des biens et services achetés par les collectivités) et avec les pertes de recettes fiscales liées à la crise (notamment la baisse du rendement des droits de mutation lié à la fin de la bulle immobilière), Nicolas Sarkozy ajoute une contrainte supplémentaire et de taille avec la suppression de la TP.
Cette annonce contribue à jeter de l’huile sur le feu au moment même où les travaux du comité « Balladur II » suscitent déjà de nombreux grincements de dents.
Alors que les collectivités pressentaient déjà des mesures radicales s’agissant de la TP de la part de Bercy (reportées à 2010 selon Christine Lagarde), l’Elysée force le calendrier et annonce une suppression pure et simple, sans concertation aucune.

Une erreur de calendrier : une annonce précipitée alors que les élus locaux étaient prêts à discuter de la réforme de la fiscalité locale après celle du cadre institutionnel local
Un tel coup de force est d’autant plus injustifié que les associations représentant les collectivités locales se disaient impatientes de discuter de la réforme indispensable de la fiscalité locale après l’étape institutionnelle, marquée par les travaux du comité « Balladur II » et le vote annoncé d’une loi avant l’été.
En faisant cette annonce, Nicolas Sarkozy a saboté tout débat sur le sujet dans la mesure où le Gouvernement a perdu toute crédibilité à convier les collectivités autour d’une table pour discuter d’une réforme de la fiscalité locale dont une grande partie aura déjà été brusquée, unilatéralement. En somme, l’Elysée a compromis tout débat serein sur ce thème.

Une erreur arithmétique : 8 = 25, l’équation improbable de Sarkozy
Au-delà de ces erreurs de méthode dont l’invocation est estimée en général par les hommes liges du Président comme un simple alibi pour la « gôche » du refus des réformes et d’un conservatisme sectaire, rentrons dans le fond de la réforme pour constater que le problème ne concerne pas – hélas – que la méthode…
Constatons d’abord que depuis hier, 8 est égal à 25 puisque Nicolas Sarkozy a estimé à l’antenne que la compensation d’un impôt rapportant 25 milliards nécessiterait de mobiliser 8 milliards d’euros. Le caractère irréaliste de cette estimation réhabilite au moins le discours de la droite dans un domaine, celui de l’éducation : en effet, il devient urgent de rappeler au Président le « socle commun de connaissances » en mathématiques !
Compte tenu de ce décalage, plusieurs solutions de substitution vont se présenter : ou bien le Gouvernement revoit ses calculs et compense les recettes de TP en transférant ou en créant un nouvel impôt pour les collectivités ; ou bien il crée une dotation de compensation à l’euro près dont l’enveloppe serait titanesque et incompatible avec l’article 72-2 de la Constitution relatif à l’autonomie financière ; ou bien encore, le Gouvernement fait le choix d’une compensation partielle par la fiscalité, obligeant les collectivités à augmenter les impôts locaux pour maintenir à son niveau la qualité du service public…  Or les impôts restants (et notamment la taxe d’habitation) sont particulièrement obsolètes (peut-être encore plus que la TP) et injustes pour les ménages modestes…

Une erreur fiscale : une « taxe carbone » comme impôt de substitution ?
Mais le prestidigitateur Sarkozy a sorti de son chapeau une idée de génie en ces temps de mise en œuvre du Grenelle : la compensation par l’institution d’une taxe carbone.
Pourtant, outre ses difficultés très importantes de mise en œuvre (qui pourrait nécessiter quelques années), cette taxe ne peut compenser efficacement la suppression de la TP pour plusieurs raisons :
- tout d’abord, c’est une taxe dissuasive dont l’assiette a, par définition, vocation à disparaître, ce qui est incompatible avec la notion de ressource pérenne et conduirait l’Etat à devoir rapidement trouver d’autres ressources de compensation ;
- ensuite, alors que la suppression de la TP est présentée comme une arme anti-délocalisations (ce dont nous discuterons plus loin), la taxe carbone va frapper principalement les activités justement les plus délocalisables ;
- surtout, un bon impôt local doit avoir une assiette dont la localisation est assez homogène. Or la taxe carbone frapperait des activités concentrées dans les régions industrielles. Pour être locale, elle nécessiterait d’être calculée à l’échelle du site et non de l’entreprise. Par ailleurs, ironie de l’histoire : les recettes fiscales de Neuilly-sur-Seine, largement liées à la TP, s’effondreraient… Après l’épisode Martinon, à quand des manifestations dans les rues de Neuilly pour réclamer le retour de la TP ?
- enfin, que va devenir l’intercommunalité à taxe professionnelle unique (TPU) avec cette réforme ? L’inquiétude des élus est plus que légitime à cet égard…

Une erreur stratégique : rentrer dans le jeu de la concurrence fiscale au lieu de rechercher des démarches coordonnées face à la crise
Ensuite, face à la crise, en ayant recours à des baisses massives de la fiscalité sur les entreprises, Nicolas Sarkozy ne fait pas preuve de responsabilité. Il commet deux erreurs de raisonnement :
- tout d’abord, il prend le risque de la concurrence fiscale en zone euro alors que cette stratégie renvoie à ce que les économistes appellent, en théorie des jeux, un « jeu non coopératif ». Et ce type de jeu ne fait que des gagnants temporaires car les Etats, libérés au moins temporairement des contraintes en matière de déficit liées au Pacte de stabilité, sont tentés d’engager une course au moins disant fiscal qui se révèle être au final un jeu en somme nulle… dommage alors que la crise actuelle suppose, plus que jamais, une coordination des efforts ;
- ensuite, de nombreuses études soulignent que le niveau de pression fiscale est loin de figurer parmi les principaux critères de localisation des entreprises. En somme, mieux vaut cibler nos principaux atouts (services publics, formation, infrastructures) que de faire la course aux bas salaires et au moins disant fiscal avec des pays d’Europe de l’Est qui suivent un processus de convergence.

Une erreur de cadrage macro-économique : une mesure vouée à l’échec, totalement déconnectée de l’enjeu de la relance
Nous le disions : Nicolas Sarkozy semble percevoir la suppression de la TP comme un outil de lutte contre les délocalisations. Si celles-ci représentent à peine 10% des destructions d’emplois, elles constituent en effet des coups très rudes pour les bassins d’emploi concernés ainsi que pour les salariés et l’auteur de ces lignes est loin de compter parmi les tenants de la « mondialisation heureuse », encore trop nombreux au 27 rue Saint-Guillaume…
Mais peut-on d’un côté prétendre lutter contre ce phénomène et, de l’autre, substituer à la TP une taxe carbone qui aggravera précisément le phénomène en concentrant la pression fiscale sur les activités délocalisables, surtout si son rendement attendu doit compenser celui de la TP (soit, vous l’aurez compris, 25 milliards d’euros) ?
Par ailleurs, d’autres mesures que cette annonce fracassante sont, sans aucun doute, nécessaires. Les socialistes insistent sur la relance de la consommation des ménages à plus forte propension à consommer, et ils ont raison. Une politique de l’offre volontariste ne doit pas moins être conduite en parallèle, ce que le paquet fiscal n’a pas permis de faire depuis 2007, précisément parce que les marges de manœuvres ont été sacrifiées par dogmatisme.
Et cette politique de l’offre doit bénéficier à l’ensemble des entreprises. Or le plan de relance du Gouvernement a toutes les chances de favoriser les grands groupes, ce que craint notamment le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD). Pour profiter aux PME, il aurait dû être accompagné de mesures législatives dans le sens d’un Small Business Act « à la française », réservant une part de la commande publique aux PME. Les collectivités territoriales le font déjà avant la lettre, dans le cadre de la passation de leurs marchés publics, grâce aux procédures dites « d’alotissement », sans que ce procédé soit contraire au droit de la concurrence et à l’égalité d’accès à la commande publique.

D’autres réformes étaient pourtant possibles
Alors que la plupart des lecteurs de cet article auront été pris de sommeil et auront interrompu très tôt une lecture trop fastidieuse (surtout en fin de semaine !) et penseront au mieux qu’il prouve le sectarisme et l’incapacité des socialistes à proposer, tentons d’esquisser quelques pistes alternatives à la précipitation élyséenne…
Tout d’abord le respect des étapes du débat public aurait dû conduire Nicolas Sarkozy à écouter en amont les élus locaux. Il aurait constaté qu’ils ne nient en aucun cas les défauts majeurs de la TP : l’obsolescence de ses bases, son caractère pénalisant pour les entreprises fortement capitalistiques, etc. Pire, les remèdes apportés à ces défauts sont devenus des problèmes : multiplication des aménagements et dégrèvements, complexité de cet impôt et au final, très fort interventionnisme de l’Etat pour compenser les aménagements.
Il aurait même constaté que beaucoup d’élus locaux ont, peu ou prou, pris acte du décès programmé de cet impôt. Mais ces élus locaux, disposés à accepter ce changement, le conditionnaient à une compensation par un nouvel impôt économique, lié à la présence d’entreprises sur le territoire de leur collectivité.
Dans ce cadre, des réformes pertinentes étaient possibles (et notamment la substitution par un impôt dont l’assiette est clairement la valeur ajoutée, comme le proposait la commission Fouquet en 2005).

Au lieu de cela, fidèle à son activisme brouillon, Nicolas Sarkozy a privilégié la brutalité, le sabotage du débat et ce qu’il y a de moins noble dans la politique…

Bastien
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B
@ Val<br /> <br /> Entièrement d'accord ! C'est la seule raison d'être de cette annonce comme je le laisse entendre au début de mon article...
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P
Toujours de très bons articles.<br /> bonne continuation
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E
Excellent article Bastien.<br /> Je me demande même si je ne vais pas le ficher :)
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H
C'est bien là tout l'art du Passe-passe sarkosien. IL sabre à la base les collectivités locales, pour faire plaisir aux "entrepreneurs". Politique à courte vue dont on se réveillera avec douleur
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V
Merci Bastien. <br /> Sarkozy a en revanche réussi une chose avec cette annonce tonitruante : détourner le débat. La grande majorité des Français ne comprend pas cette taxe professionnelle, et ce que sa suppression implique. Il reste suffisamment flou sur le système qui la remplacera pour financer les collectivités territoriales. Du coup, il provoque l'inquiétude et la colère des élus locaux, qui sont souvent dans l'opposition. Il inquiète aussi le Medef et les entreprises qui ne savent pas ce qui va venir à la place de la TP, donc il leur met à la pression pour faire quelques concessions le 18 février. Comme tu l'as dit, on peut voir son manque de concertation et de mesure comme une erreur stratégique... Ou bien au contraire, il joue la montre et crée un écran de fumée. Il va pouvoir faire des annonces nouvelles dans les semaines à venir pour expliquer sa décision, qui semble faire consensus car la TP a de nombreux défauts. Pendant ce temps, personne ne parle de ses impasses sur le fond du problème : le soutien direct au pouvoir d'achat de ceux que la crise met le plus en difficulté.
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