La VIè République : machin mythologique

Publié le par Thomas Ernoult

            Les Français, ou tout au moins leurs représentants, sont décidément incorrigibles !

Nous savions qu’ils étaient joueurs – le loto rapporte à la FDJ le pactole annuel de 5 milliards d’euros.  

           Nous découvrons aujourd’hui que la passion du chiffre mord sur le terrain constitutionnel. Et, il semblerait, chez les parieurs les plus avisés, que le 6 soit en vogue : tous les indicateurs prédictifs semblent au vert pour l’avènement d’une « VIe République »…

           Plus sérieusement, les Français ne supportent pas l’idée que leur régime survive quelques années au mieux, quelques décennies au pire. Sitôt qu’une Constitution atteint un âge respectable, il s’agit d’en changer. Non pas de la réviser, dans la plus stricte logique du droit vivant et continu, mais d’en élaborer une nouvelle, en l’occurrence la VIe République , au cours d’un « Grand soir » constitutionnel… Au même titre que le Grand soir ou que la grève générale, la VIè République est un mythe : j’entends par là, avec le doyen Roussillon, qu’il s’agit de pratiquer une fuite en avant, voire de recourir à un dérivatif par rapport aux vrais problèmes constitutionnels du moment. Il est vrai que ce mythe s’inscrit aussi dans une lignée de concepts à la mode : le mythe du changement, relayé par le mythe du « bougisme »… 

          Sommes nous arrivés à un point de non-retour constitutionnel – moment où, pour reprendre les mots du doyen Vedel, nous ne pourrions souffrir ni nos maux ni leurs remèdes?

Je ne le crois pas et démontrerai ici que la VI République n’a guère de sens.  

          J’estime cependant que la situation actuelle et la crise démocratique diagnostiquée par tous méritent une réponse ambitieuse et des réformes de nos institutions – à commencer par le Parlement.

            L’originalité de la Ve République dans l’histoire constitutionnelle française repose pour beaucoup sur le rôle limité qu’elle attribue au Parlement, marquant ainsi une rupture radicale avec la conception extensive de ses pouvoirs – « parlementarisme absolu » selon Raymond Carré de Malberg – qui prévalait dans les républiques précédentes. L’application en France des techniques de parlementarisme rationalisé, le fait majoritaire et l’apparition d’un pouvoir réglementaire autonome ont été perçus dès 1958 comme significatifs d’une perte de prestige et d’influence du Parlement, retrait souligné par son évocation tardive au sein des titres de la Constitution (Titre IV).

Le nouveau régime accordait donc la primauté à l’exécutif au détriment du législatif. 

            Cet effacement a été aggravé par plusieurs phénomènes postérieurs à 1958 : l’élection présidentielle au suffrage universel direct, l’internationalisation du droit français, une certaine crise de la représentation et, plus généralement, une dévalorisation de l’activité législative sont venus minorer encore davantage une image déjà ternie, donnant ainsi naissance au thème récurrent d’un déclin du Parlement.

Je crois ce constat juste.  

           Pourtant, le Parlement conserve une place spécifique dans l’architecture du régime et constitue toujours une garantie démocratique de premier plan, en accord avec l’histoire du régime représentatif. Sa compétence, protégée - souvenons-nous - des empiétements du gouvernement par l’intervention du juge constitutionnel, reste non négligeable et ses pouvoirs propres n’ont que peu perdu au jeu du parlementarisme rationalisé. La rationalisation du parlementarisme a été opérée sous la V ° au nom de l’efficacité, il s’agissait de lutter contre l’instabilité ministérielle, le clientélisme, la représentation non représentative, la discontinuité dans la conduite des politiques publiques… bref de  mettre un terme aux pires abus du régime des partis tels que dénoncés par de Gaulle (cf. discours de Bayeux).  Mais aujourd’hui, le régime a vieilli : les excès du régime parlementaire se sont résorbés d’eux-mêmes. La guerre promise entre les pouvoirs n’a pas eu lieu.

Au contraire, même si les mécanismes institués selon l’approche rationalisée du parlementarisme (strict régime des parlementaires, délimitation du domaine de la loi, réorganisation des procédures budgétaires et législatives, …) demeurent dans le corps constitutionnel, ils ont perdu beaucoup de leur tranchant et se sont émoussés sous la double action de la pratique politique et de la jurisprudence constitutionnelle.

En effet, le fait majoritaire a instauré une situation dans laquelle le Parlement n’est pas contre le gouvernement mais c’est bien le gouvernement soutenu par une majorité parlementaire contre l’opposition. Dans ces conditions, chacun comprendra que l’utilisation des outils du parlementarisme rationalisé est inutile, compte tenu du peu de moyens qu’a à sa disposition l’opposition pour faire barrage à la politique gouvernementale.

Quant à l’utilisation de l’article 49-3 qui permet au gouvernement d’adopter un texte, sans passer par un vote, en engageant sa responsabilité, on constate qu’elle est totalement contre-productive. M. de Villepin l’a constaté à ses dépens au printemps 2006 : le temps gagné à l’Assemblée fut perdu dans la rue ; et le temps de la rue est autrement plus dévastateur que celui de l’hémicycle.

          Aujourd’hui, les menaces pesant sur le Parlement ne trouvent plus leurs sources dans une utilisation abusive des outils du parlementarisme rationalisé.  

         L’internationalisation progressive du droit français, particulièrement dans le cadre de l’intégration européenne (que j’encourage de mes vœux) s’est accomplie au détriment de l’institution parlementaire. L’importance de « ces normes venues d’ailleurs » pour reprendre l’expression du doyen Carbonnier qui entrent dans l’ordre interne sans contrôle parlementaire laisse le sentiment que le Parlement s’est transformé en simple chambre d’enregistrement : un « parlement croupion » et des parlementaires « godillots »…

           En outre, l’inadaptation de la fonction législative a été soulignée au regard de sa participation à l’inflation législative… C’est le thème de la dégradation de la loi, doctrine conduite en cela par le rapport du Conseil d’État de 1991 dans lequel Françoise Chandernagor évoque les lois bavardes (la « logorrhée législative »), inconsistantes : « le droit mou, le droit flou, le droit à l’état gazeux… ».

 

Voilà pour le constat !

 

             Aujourd’hui, dressons le bilan des propositions. 

            D’un côté, les radicaux de gauche plaident pour une république présidentielle dans la proposition de loi du 31 mai 2000 : suppression du premier ministre, transferts de ses pouvoirs au Président, fin du régime de sessions parlementaires, suppression du droit de dissolution et du droit de censure, … Je ne crois pas du tout en cette idée d’une transposition, plus ou moins fidèle, du modèle américain dans le contexte politique, social et culturel français actuel ! On le sait, le régime présidentiel n’a jamais fonctionné correctement en dehors des Etats-Unis. Dans tous les pays du tiers-monde, il a pris immédiatement la forme dégénérée du « présidentialisme », c’est-à-dire à l’hypertrophie présidentielle.

            D’autre part, le projet de constitution élaborée par la Convention pour la VI République d’Arnaud Montebourg –partant du constat d’un « système politique devenu autiste », d’une « machine à trahir » - met en avant une re-parlementarisation du régime, c’est-à-dire un rééquilibrage des pouvoirs.  Mais cela peut se faire tout simplement en appliquant le texte de 1958, comme on a pu le vérifier à trois reprises au cours des cohabitations ! (En ces cas, le Président est renvoyé à ses pouvoirs constitutionnels, sans contreseing, c’est-à-dire assez peu (cf. art. 19), et dispose seulement du magistère de la parole.)

            Or, si le chef de l’État devait être élu, à l’avenir, par les parlementaires comme le propose A. Montebourg, ne serions nous pas revenus à la IV République , étonnante façon d’aller vers une VI République ?

           Je crois en définitive que la Constitution de 1958 est sans doute la meilleure constitution qu’ait connue la France , au regard de plus de deux siècles d’histoire constitutionnelle heurtée et ponctuée de crises. La Vè République n’a pas de constitution avait écrit Jean-Claude Colliard : il voulait dire par là que par sa capacité à s’adapter, à muter selon les circonstances politiques, à renaître (1962, 1971, 1974, 1981, 1986, 1997) tantôt sous une forme présidentialiste « monarcho-bonapartiste », tantôt sous une forme primo-ministérialiste à l’anglaise, la Vè République avait fait la preuve de son efficacité et de sa capacité à durer.

           Et, il faut reconnaître que la Vè République aura surmonté la crise fondatrice d’Alger, la guerre d’Algérie, Mai 68, le départ de De Gaulle (le chaos, on l’attend toujours !), l’alternance, la cohabitation, le 21 avril 2002 et la présidence Chirac (mais est-ce une présidence ?)… Quel palmarès ! 

          Certes, on ne peut pas jeter un voile pudique sur tous les problèmes que je décrivais initialement. Tout ne va pas bien, Madame la Marquise  ! Il faut, comme le projet socialiste le propose, rénover nos institutions, de former une république parlementaire (c’est le cas aujourd’hui dans la théorie du droit constitutionnel !) nouvelle (la place de l’adjectif est très signifiante). Je souscris entièrement au volet institutionnel de notre projet ! La responsabilité du chef de l’État, la saisine citoyenne du Conseil constitutionnel, le référendum d’initiative populaire, le contrat de majorité, l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée sont entre autres des éléments de modernisation de notre démocratie.

           Tout d’abord, je crois que la première mesure que devront prendre les socialistes en arrivant au pouvoir sera d’interdire, catégoriquement, le cumul des mandats : le pire des fléaux. Cela pourra résorber la majorité des troubles que l’on connaît aujourd’hui. Aujourd’hui, le Parlement manque moins de pouvoirs que de parlementaires ! Les pouvoirs ne manquent pas ; la volonté opiniâtre, elle, fait cruellement défaut.

Le cumul touchait environ 35% des députés sous la IIIè République. Ils sont aujourd’hui près de 95% à être aussi élu d’une collectivité locale ! Et, subséquemment, nous n’avons plus 577 représentants de la nation au palais Bourbon mais une majorité de représentants des collectivités locales, lobbyistes des intérêts particuliers de leurs territoires.

Quant à l’argument spécieux qui serait de se dire plus proche des préoccupations des Français et des réalités au prétexte qu’on est maire ou conseiller régionale, il suffit de constater que chaque majorité sortante se fait invariablement battre depuis des années pour le démonter.

            De plus, les exemples étrangers ne manquent pas et, je pense, qu’il serait présomptueux et faux de désigner les parlementaires français comme les meilleurs du monde uniquement parce qu’ils sont les seuls au monde à cumuler les fonctions. Le député André Santini, avec l’humour qu’on lui connaît, avait ainsi justifié son enracinement local à Issy-les-Moulineaux en soulignant qu’il avait pu proposer une loi sur les chiens dangereux à la suite d’une malheureuse affaire de morsure dans sa commune… Comme s’il fallait être élu local pour savoir que les chiens méchants, ça mord ! 

           Non, le travail de député est un travail à plein temps : le rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement ne peut s’opérer que si le gouvernement a en face de lui 577 parlementaires, maîtrisant leurs dossiers, attendant des réponses précises et claires, n’ayant à l’esprit que l’intérêt national. C’est l’essentiel.

          Pour conclure, je terminerai par une anecdote rapportée par le brillant professeur Carcassonne. En 1993, lors des éliminatoires du Championnat du Monde de football, la France avait été éliminée par la Bulgarie. Un certain nombre de nos compatriotes s’étaient émus de ce qu’une petite nation ait pu éliminer la nôtre ! La réponse fut fort logiquement d’accuser la taille des buts : la France aurait gagné si le but bulgare avait été plus large… La proposition n’eut curieusement aucune suite.

         En 1998, la France était championne du monde. Avec les mêmes règles du jeu. Mais des joueurs différents…

         Aussi, ne désespérons pas de notre Constitution ! J’ai bon espoir qu’une équipe de gauche puisse lui rendre, en 2007, dans un contexte rénové, toute sa force démocratique pour faire gagner la France.         

Publié dans Point de vue militant

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E
Je pense que votre débat se poursuit dans les commentaires de l'article d'Adrien sur le devoir de victoire.
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T
Je prends le temps du week-end pour lire dans le détail vos propositions et pour ensuite vous répondre... Détrompez vous, je ne suis pas conservateur ! <br /> <br />
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I
Merci Thomas, Effectivement, c'est un lien très précieux pour comprendre l'histoire de nos institutions et ses réformes... Vous remarquerez au passage, que nos engagements dans l'Europe, auraient dû également impliquer que certaines de nos structures soient réformées ou supprimées, car devenues redondantes ou inutiles, consécutivement au fait que nous avons abandonné tout ou partie de leurs fonctions aux Institutions européennes... Mais, non, il ne faut surtout pas toucher aux acquis...Nous n'apprenons rien à personne en leur rappelant le diagnostic de ce qui ne va pas dans le système et je ne peux qu'être d'accord avec vous... Cependant, au risque de me répéter et de lasser ceux qui suivraient encore, permettez-moi de vous redire que vous avez une position très conservatrice en affirmant encore : "Les solutions ne sont pas si nombreuses que cela..."Non, non, elles sont très nombreuses, expérimentées (pour un grand nombre d'entre elles) dans d'autres pays, et comportent toutes leurs avantages et inconvénients ; mais je crois qu'aucune ne génère autant de perversions que la nôtre qui nous ont même conduits en 2002, à devoir voter pour un escroc pour empêcher un facho de passer... Ce qui est vraiment le comble pour une démocratie... Alors, avant de continuer de vouloir faire du neuf en aménageant le vieux, à mon tour de vous exhorter à aller consulter mes propositions. Vous verrez que j'apporte des solutions à nos préoccupations communes, un peu plus conséquentes qu'en réformant à la marge.
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T
Bonjour,<br /> <br /> À destination de tous ceux qui souhaiteraient entrer dans le débat, je conseille la lecture -par morceaux évidemment!... en butinant- du rapport Vedel de 1993 sur la réforme des institutions (voyez, c'est un sujet qui ne date pas d'hier...).<br /> <br /> C'est un rapport de grande qualité.<br /> <br /> http://www.senat.fr/evenement/revision/revision_constitution.html<br /> <br />
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T
PS: vous allez me rétorquer que l'unité nationale est bien mal en point aujourd'hui... Le constat est évidemment à nuancer...<br /> <br /> Néanmoins il serait illusoire de prétendre régler par la loi, et la loi seulement, ce problème de fond. Bonne journée.
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