N'ayons pas peur de la révolte tunisienne
Le slogan le plus entendu lors des récentes manifestations en Tunisie est « travail, liberté, dignité ». Pour reprendre l’explication donnée par Abdelwahab Meddeb (écrivain, poète et animateur de radio franco-tunisien), les Tunisiens exigent un travail sur lequel s’appuyer et une liberté sur laquelle compter pour pouvoir vivre dignement. En effet, ce mouvement n’est pas celui d’une jeunesse fanatisée ou affamée. Il s’organise autour de tunisiens qui ont grandi dans la peur. Unis dans la révolte, ils se sentent grisés par leur tout nouveau sentiment de liberté. Ce mouvement a ainsi réveillé bien des consciences résignées ou dépolitisées. Il s’appuie sur des jeunes femmes et de jeunes hommes bravant chaque jour la peur que sécrète tous les régimes oppressifs. Ce combat intérieur mené par de nombreux tunisiens que ce soit en postant sur Facebook des commentaires chaque jour plus hardis ou en manifestant au péril de leur vie contre un régime policier mérite notre respect. Il est le témoin d’une maturité politique certaine.
Sans un régime policier, la Tunisie ne se transformera pas inéluctablement en ce chaos craint par un gouvernement français apeuré à l‘idée d’une Tunisie devenue source de migrations massives vers l’Europe et terreau de l’intégrisme islamique. Il faut refuser cette lecture. A ce stade, rappelons que la Tunisie réunit de nombreux atouts pour devenir la première démocratie arabe. Forte de ses jeunes diplômés, la société tunisienne a été marquée par les politiques progressistes de Bourguiba en faveur de l’émancipation de la femme. L’existence d’un Etat solide et l’absence de tout risque de séparatisme religieux ou ethnique au sein de cette population homogène fait de la Tunisie un laboratoire idéal pour l’émergence d’un projet démocratique arabe.
Il s’agit à bien des égards d’un moment historique. Malheureusement, en France, bien des intellectuels et des hommes politiques se complaisent dans l’image si trompeuse d’un régime rempart contre l’islamisme. Cette mystification a assez duré. Plutôt qu’un rempart, ce régime a produit tant de frustrations qu’il en est arrivé à renforcer le fanatisme religieux.
Dans sa volonté de faire le vide, le régime tunisien a supprimé tous les lieux de débat et l’essentiel des structures intermédiaires entre l’Etat et la société civile. Il se retrouve nu face à son peuple. C’est pourquoi la France doit se montrer ferme dans sa condamnation des atteintes répétées aux droits fondamentaux subies depuis la mi-décembre par le peuple tunisien. Elle doit accompagner l’Histoire plutôt que de tenter de la retenir. Si le peuple tunisien obtient satisfaction dans sa lutte, le danger islamiste pointera probablement, il faudra alors la combattre résolument. Les Tunisiens ont fait ce pari de la liberté et de la dignité ; ils méritent que nous les accompagnions dans cette entreprise courageuse qui a déjà obtenu comme premier résultat l’annonce par le Président Ben Ali qu’il renonçait à se représenter en 2014.
Tout cela doit nous pousser à nous réunir samedi à 14h place de la République pour protester contre la répression brutale organisée par le régime tunisien. Cette lutte est celle de tous les socialistes qui ne peuvent que se ranger du côté des peuples face aux dictateurs.
S.
Photo AFP