Statut pénal du Président de la République : les stupéfiantes largesses d’interprétation du Parquet de Paris

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po

                La décision, le 25 octobre dernier, prise par le Parquet de Paris de classer sans suite la plainte d’une association de lutte contre la corruption, Anticor, remet à l’ordre du jour les questions relatives au statut pénal du Chef de l’Etat et à l’interprétation par les juridictions du silence des textes concernant ses collaborateurs.

               

                Cette plainte concernait en effet une convention visant à réaliser des études d’opinion, et passée entre la présidence de la République et une société dirigée par un des conseillers de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Cette convention avait été signée par la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy de l’époque, Emmanuelle Mignon. En juillet 2009, un rapport de la Cour des comptes avait épinglé cette convention, pour l’absence d’application des règles de mise en concurrence.

 

                Le Parquet de Paris a ainsi décidé de classer cette plainte sans suite, par le biais d’une interprétation inventive et édifiante des textes, en particulier de l’Article 67 de la Constitution. Cet article définit en effet le statut pénal du Chef de l’Etat, et notamment son irresponsabilité pénale pour tous les actes commis dans l’exercice de ses fonctions.

 

                La question ici était donc de savoir quelles poursuites pouvaient être engagées à l’encontre de l’ex-directrice de cabinet du Président de la République, pour cette convention à la légalité plus que douteuse. Une des questions fondamentales était, notamment, de savoir si Emmanuelle Mignon avait agi sur ordre du Président de la République, ou de sa propre initiative.

 

                Etrangement, le Parquet de Paris ne semble pas s’être posé cette question, et a élaboré à l’appui de sa décision un raisonnement juridique pour le moins surprenant. Le procureur, Jean-Michel Aldebert, souligne notamment qu’un directeur de cabinet « n’a juridiquement aucun pouvoir en propre, même en cas de délégation de signature », et que par conséquent, même si le délit de favoritisme était établi, ce serait « la présidence de la République » qui aurait contracté cette convention, et son représentant, c’est-à-dire le Président de la République, bénéficie de l’irresponsabilité posée par l’Article 67.

 

                Le Parquet a donc déclaré que cette irresponsabilité « qui vise à protéger la fonction présidentielle, et non son titulaire, doit s’étendre aux actes effectués au nom de la présidence de la République, par ses collaborateurs ».

 

                Cette position, qualifiée d’ « extravagante et opportunément extensive » par le constitutionnaliste Guy Carcassonne, semble en contradiction avec l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 octobre 2001, qui déclarait que, si le Chef de l’Etat (à l’époque Jacques Chirac) était protégé de toutes poursuites durant son mandat, « les juges d’instruction [sont] néanmoins compétents pour instruire les faits à l’égard de toute autre personne, auteur ou complice ».

 

                On peut, de plus, s’interroger sur la validité des arguments avancés par le Parquet, et soutenir que les collaborateurs du Chef de l’Etat, et a fortiori sa directrice de cabinet, possèdent une liberté d’action substantielle, en particulier lorsqu’il y a délégation de signature.

 

                D’autre part, si l’Article 67 protège, avec raison, la personne morale du Chef de l’Etat durant son mandat, cette protection ne saurait s’étendre indéfiniment à ses collaborateurs, terme dont la définition est nécessairement vague et donc large.

               

                Cette situation serait, comme le dit Olivier Beaud, professeur de droit public à Assas, « intenable juridiquement », et ce pour plusieurs raisons. Première aberration, le Parquet assimile les collaborateurs du Président à des collaborateurs ministériels, ces derniers étant supposés n’être jamais les auteurs des actes de leur ministre de tutelle. Cette assimilation est mal fondée et inquiétante. Mal fondée d’abord, car des conseillers ministériels ont déjà été poursuivis, notamment lors de l’affaire du sang contaminé. Inquiétante ensuite, car l’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy a vu l’importance du rôle de ses proches conseillers sans cesse augmenter, en particulier concernant Claude Guéant, le secrétaire général de la présidence. Ici, une interprétation qui se veut rigoureuse juridiquement ignore complètement la réalité politique actuelle.

 

                De plus, un principe constitutionnel est celui de l’égalité devant la loi. L’irresponsabilité pénale dont bénéficie le Président de la République est donc une exception à ce principe, et, en tant qu’exception, doit être interprétée de la manière la plus restrictive possible. La Constitution ne définissant pas le statut pénal des conseillers du Président, le Parquet aurait dû adopter une interprétation la plus étroite possible de l’Article 67 de la Constitution, comme l’a fait la Cour de cassation en 2001.

 

                Enfin, ces questions ne sont que plus frappantes compte-tenu de l’asymétrie qui existe dans ce statut. En effet, Président comme conseillers peuvent, d’après la jurisprudence, se constituer parties civiles à l’occasion d’affaires judiciaires. On l’a vu début 2010, lorsque la Cour d’appel de Versailles a jugé recevable la constitution de partie civile de Nicolas Sarkozy dans le litige qui l’opposait à huit personnes ayant piraté son compte bancaire. Et plus récemment, avec Claude Guéant décidant de porter plainte contre Mediapart pour diffamation.

 

                Le Président et ses conseillers peuvent donc se draper du beau manteau de la raison d’Etat afin d’échapper à leurs responsabilités pénales, mais le ranger à loisir pour agir comme n’importe quel citoyen.  Comme l’a souligné, dans des conclusions récentes, un avocat général près la Cour de cassation, on comprend mal que « le Chef de l’Etat », et a fortiori ses conseillers, puissent engager des poursuites à l’encontre de n’importe quel citoyen, alors même que ce citoyen n’a aucun moyen d’action à leur encontre.

 

                Cette situation illustre une dérive dangereuse vers l’arbitraire du pouvoir, et demande une révision du statut pénal du Chef de l’Etat, qui trancherait clairement entre, d’une part, ce qu’on pourrait qualifier de « non-personnalité juridique », une irresponsabilité qui s’accompagnerait d’une impossibilité d’action juridique ; et d’autre part une personnalité juridique complète, tant lorsqu’il s’agit d’être partie civile que lorsqu’il s’agit d’être poursuivi. Cette révision devrait également spécifier explicitement le statut pénal des conseillers du Président, en stipulant clairement que leurs actions les engagent personnellement, et qu’ils en sont pour cela pleinement responsables devant les juridictions.

 

David Guilbaud

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