Au-delà du socialisme local, inventer un avenir pour la gauche
Alors que se dessine la perspective d’un vote sanction contre le pouvoir à l’occasion des prochaines municipales, la gauche est confrontée à un paradoxe : loin d’être au mieux de sa forme, elle semble en mesure d’engranger de beaux succès électoraux. Ce paradoxe n’est en réalité qu’apparent compte tenu du caractère désormais systématiquement punitif des scrutins locaux. Loin de devoir nous conduire à pavoiser, une victoire en mars – si elle est souhaitable en soi – ne doit pas installer le PS dans la situation qui a été jadis celle de la SFIO : celle d’une gauche cantonnée à la gestion locale qui abandonne tacitement toute responsabilité nationale. Sa responsabilité est d’autant plus grande aujourd’hui que l’exécutif porte de façon inédite et très préoccupante les stigmates d’une fin de règne. Au-delà des municipales, les socialistes sont donc appelés, plus que jamais, à engager effectivement le chantier de leur rénovation pour offrir une alternative durable aux Français.
Fin de règne prématurée à l’Elysée ?
Même si les ferments d’un vote sanction sont déjà décelables depuis quelques mois, compte tenu du décalage croissant entre la réalité du problème du pouvoir d’achat et les réponses apportées par le gouvernement, il s’est joué, ces dernières semaines, quelque chose qui porte singulièrement les marques d’une fin de règne, huit mois seulement après l’élection de Nicolas Sarkozy.
Loin d’être excessive, cette impression se fonde sur une différence majeure entre le début de mandat de Nicolas Sarkozy et celui de ses prédécesseurs : alors que la fin de l’état de grâce s’accompagne généralement d’une déception vis-à-vis des résultats de l’action de l’exécutif et d’une critique de son orientation, on instruit aujourd’hui non pas seulement le procès de la politique économique du gouvernement mais, plus fondamentalement, celui d’un style de gouvernement et de ses dérives.
L’affaire de Neuilly ajoute ainsi le clanisme et le népotisme à l’exhibition outrancière, au luxe ostentatoire et à la médiocrité qui semblent aujourd’hui tenir lieu de mode de gouvernement. Ce qui se joue actuellement est donc bien plus profond que les illusions perdues de 1981 ou celles de la fracture sociale en 1995. Aucune mesure économique ou recadrage superficiel de la communication n’y changera quelque chose. La période actuelle porte les traits d’une fin de règne. Cette situation est particulièrement préoccupante pour la suite du mandat de Nicolas Sarkozy : sa crédibilité et sa légitimité à engager des réformes sont aujourd’hui plus qu’entamées et le spectre d’un enlisement – peut-être définitif – plane lourdement.
La fragilité du sarkozysme est donc mise à nu. Il est le fruit de la victoire ambiguë d’un homme qui est parvenu, grâce au marketing politique et à un malentendu fiscal déterminant, à séduire concomitamment des « clientèles électorales » antagonistes.
Du vote sanction à la tentation d’un socialisme local gestionnaire
Dans ces conditions, le scénario d’un vote sanction aux municipales ne paraît pas surprenant même s’il faut tirer les leçons de 2001 en examinant avec prudence des sondages municipaux souvent plus fragiles par définition.
Plus largement, la participation punitive est devenue presque systématique à l’occasion des scrutins locaux. La faiblesse caractéristique des corps intermédiaires en France n’est sans doute pas étrangère au recours aux urnes comme voie de la manifestation du mécontentement. Ce phénomène a par ailleurs été renforcé à partir du moment où la concomitance des élections législatives et présidentielle a privé les Français de la possibilité d’imposer la cohabitation à l’issue d’un vote sanction aux législatives.
Ecartée durablement du pouvoir, la gauche a été logiquement la bénéficiaire de ce phénomène et a pu largement renforcer ses positions au niveau local. Plus que municipal, le socialisme est devenu local avec la conquête en 2004 de la majorité des conseils généraux et de la quasi-totalité des régions. Avec le renforcement des compétences des collectivités territoriales, cette présence de la gauche revêt sans aucun doute beaucoup d’importance. La gestion des exécutifs socialistes est par ailleurs jugée positivement en général, alliant rigueur, efficacité et justice sociale. Des expériences particulièrement originales ont été développées faisant de ces collectivités autant de « laboratoires » de la gauche.
Certes. Ce satisfecit ne doit pas cependant conduire le PS à se contenter de ses positions acquises au niveau local. Dans une configuration où droite et gauche semblent mécaniquement se partager les rôles entre responsabilité nationale et responsabilités locales et où la cohabitation local-national fait figure d’ersatz de cohabitation, nous devons écarter cette tentation insidieuse de faire du socialisme local le seul horizon du socialisme en France. Souvenons-nous de la marginalité à laquelle s’est condamnée la SFIO en consentant tacitement à un abandon de ses responsabilités nationales pour se replier sur le niveau local.
De surcroît, dans un parti affaibli, confronté au départ de nombreux militants et donc au risque de se « notabiliser », l’influence des élus est mécaniquement renforcée. Or le rôle des élus dans un parti est ambivalent : leurs collectivités peuvent être autant de points d’ancrage dans la réalité et de prise de température, utiles pour faire évoluer nos grilles de lectures, mais leur poids décisif et l’importance qu’ils accorderont au maintien de nos positions électorales locales peuvent être aussi un facteur d’inertie.
Le socialisme local ne saurait donc être l’horizon de la gauche. Source d’expériences et d’innovations précieuses, il doit être conçu comme un levier et un instrument, non comme une finalité.
Au-delà de ce socialisme local, la gauche a plus que jamais un avenir. Ses valeurs n’ont rien perdu de leur modernité pour peu que les instruments placés à leur service soient renouvelés.
Or si nous souhaitons, nous socialistes, être à la hauteur des nos responsabilités nationales, nous devons dès maintenant engager ce travail profond de rénovation qui permettra de forger de nouveaux instruments au service de nos valeurs.
La rénovation, maintenant !
Nul doute que le mécontentement des Français les conduira assez logiquement à se tourner vers la gauche, notamment après une probable victoire aux municipales, en attente de réponses et de contre-propositions. Cette attente sera d’autant plus forte que la situation politique actuelle pourrait déboucher sur un enlisement durable voire définitif de l’exécutif. Un rendez-vous manqué des socialistes qui n’en seraient pas à la hauteur aurait alors des conséquences bien difficiles à déterminer…
Nous devons avoir conscience que nous contenter de récolter les dividendes du mécontentement ne suffit plus. Même d’un point de vue purement électoral : la rentabilité électorale de l’attentisme sur fond de protestation contre le gouvernement est devenue beaucoup plus incertaine au moment des élections nationales.
Les socialistes ont donc le devoir de construire un véritable projet. Un projet audacieux qui, fidèle à nos valeurs, repose sur des instruments renouvelés.
En effet, les Français, bien que mécontents de l’action de l’exécutif actuel, ne nous accorderons pas leur confiance si ce doit être sur la base de solutions qui ont déjà administré la preuve de leurs limites voire de leur échec.
Les « Forums de la rénovation » ont permis d’esquisser quelques pistes intéressantes mais cette démarche reste insuffisante et surtout peu lisible. Il eût été sans doute nécessaire d’y associer tous les militants par des mécanismes de remontée plus efficaces des travaux conduits à l’intérieur des sections. Cela a déjà été dit, notamment sur ce blog, mais un changement d’organisation du parti est nécessaire dans un sens résolument « participatif ». Une réflexion doit être engagée également pour donner plus de place aux nouveaux militants et permettre à ceux qui ne sont pas militants, mais qui le désirent, de contribuer à ce travail de fond qui nous attend.
Outre ces changements indispensables, le processus de rénovation que nous devons engager devra satisfaire plusieurs conditions.
Tout d’abord, nous ne devrons pas préjuger de son issue comme si les dés étaient déjà jetés. N’en déplaise à ceux qui cèdent aux raccourcis simplistes, repris par les médias, préempter la rénovation en posant d’emblée que son débouché doit être un « Bad Godesberg à la française », c’est d’abord être très peu ambitieux et c’est ensuite la condamner à l’échec.
Ouverte à toutes les sensibilités sans préjuger de son débouché, la rénovation doit en revanche donner lieu à un choix clair à son issue. La recherche de la synthèse rend sans doute gouvernable notre parti mais, en devenant systématique, elle rend son positionnement peu lisible et l’affaiblit considérablement à l’extérieur comme sur le fond.
Enfin, ce processus devra respecter une trilogie, sorte de « triangle magique » de la rénovation : renouvellement des grilles de lecture, élaboration d’un projet et enfin, rédaction d’un programme. Nous devrons dans un premier temps bâtir de nouvelles grilles d’analyse de la société qui permettront dès lors d’envisager le renouvellement de nos instruments à l’aune des changements analysés. Ce travail sur le « logiciel » permettra alors d’écrire un projet sur la façon dont nous envisageons la France à long terme. Enfin, notre programme sera la déclinaison concrète et opérationnelle de ce projet à l’échelle d’une mandature.
Nous devons garder à l’esprit ces trois étapes et éviter de les confondre comme ce fut cas à l’occasion de l’élaboration du bien mal nommé « Projet socialiste », programme de synthèse qui a été baptisé « projet » sans doute par acte manqué…
Notre parti peut s’appuyer sur de nombreuses ressources pour relever ces défis. N’en déplaise à ceux qui semblent ne plus croire en son avenir, ses militants souhaitent prendre part à cet ambitieux travail.
Engagés avec détermination dans la campagne des municipales, n’oublions donc pas, pendant les semaines à venir, qu’au-delà de l’horizon du socialisme local, il existe bien un avenir pour la gauche et qu’il est de notre devoir de l’incarner.
Bastien Taloc