2008, l'année où Nicolas Sarkozy a coulé France Télévisions

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po

Le 8 janvier 2008, Nicolas Sarkozy annonce son souhait de mettre un terme à la diffusion de publicité sur les antennes de France Télévisions. Le contre-pied est parfait, la manœuvre habile : la réduction des écrans publicitaires à la télévision a toujours été un combat de gauche1 et la privatisation du service public de l'audiovisuel a toujours été considérée comme un désir secret de la droite.

Le désenchantement
Seulement voilà, la suppression de la publicité ne saurait être un dogme ou une fin en soi et une telle réforme doit être à la hauteur de l'enjeu en proposant un vrai financement de substitution. Et très vite, sur ce plan-là, il a fallu déchanter... En effet, si le principe de la mise en place d'une commission parlementaire sur le sujet était une idée intéressante, le mépris2 dans lequel le Président de la République l'a tenu nous a vite ramené les pieds sur terre. Aucun moyen de financement satisfaisant ne sortira de ce projet de loi. Mais le désenchantement n'en est pas resté là : une seconde coupure de publicité pour les chaines privées et la modification de la nomination du PDG du groupe France Télévisions sont venues se greffer sur cette réforme. Désormais, ce n'est plus le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui s'en chargera, mais le Président de la République, « encadré » par un avis conforme du CSA et le vote des assemblées. Le timide pas dans la bonne direction que constituait le précédent système est donc purement et simplement annulé par ce grand pas en arrière. 

Quelle réforme aurait du être menée pour réellement moderniser France Télévisions ?3
Concernant le financement, elle se serait appuyé sur deux éléments : la réduction de la publicité, ce qui permettrait de faire efficacement la part des choses entre nécessité de ne pas être livré à des logiques strictement mercantiles et nécessité de ne pas dépendre d'une seule et unique source de financement, et l'augmentation de la redevance. Sur ce dernier point, il faudrait enfin avoir le courage politique de dire que c'est une contrepartie automatique de la réduction de la publicité et que cet impôt n'a rien d'illégitime ! Les foyers les plus modestes en sont exonérés et nous avons la plus faible redevance d'Europe. Le service public de l'audiovisuel a un coût et une augmentation juste de son impôt est possible. Un premier pas serait de revenir sur les exonérations des résidences secondaires, accordées par un certain Nicolas Sarkozy en 2004. Concernant la hiérarchie, il faudrait évidemment revenir sur la récente réforme mais également revoir le mode de nomination des membres du CSA. On pourrait ainsi imaginer un CSA composé de 3 membres nommés par la majorité parlementaire, 3 par l'opposition et 3 autres par l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel français.

2008 : l'année noire des médias français ?
Si cette année 2008 avait débuté sur une prudente promesse de progrès, elle se termine donc avec une magnifique gueule de bois symbolisée par le livre blanc que TF1 avait fait parvenir à Nicolas Sarkozy fin 20074.  Cette réforme n'est pas là - malgré quelques éléments utiles à la marge comme la création d'un groupe unique - pour moderniser le service public de l'audiovisuel, ni même pour y promouvoir des programmes plus ambitieux. Non, cette réforme est là pour paupériser un peu plus France Télévisions afin de libérer des chaines privées à la santé économique morose d'un concurrent direct. Une paupérisation garantie par la mise sous tutelle totale - financièrement et hiérarchiquement - du groupe par l'Elysée.
Le tout effectué en un an, chapeau bas, ensemble, le pire est décidément plus que possible. Et ce n'est sans doute pas terminé : les Etats généraux de la presse fantoches n'ont pas encore rendu leur conclusion et le grand rêve de Nicolas Sarkozy, à savoir la suppression des seuils anti-concentrations, n'est pas (encore) réalisé.

2012 est encore loin. D'ici là, la berlusconisation de la France devrait être achevée.


Thomas B.


1- La loi Tasca - ministre de la culture et de la communication du gouvernement Jospin - de 2000 réduisait à 8 minutes par heure la part de publicité sur France Télévisions (12 minutes par heure pour le privé).
2- Le 21 mai, la Commission présidée par Jean-François Copé rendait ses propositions où l'augmentation de la redevance figurait en bonne place. Le 27 mai, Nicolas Sarkozy annonçait sur les antennes d'RTL qu'une telle augmentation ne saurait être réalisée.
3- Les propositions développées dans ce paragraphe sont extraites de l'excellent travail de proposition effectué par l'hebdomadaire Télérama dans son numéro du 18 juin 2008.
4- Son existence était connue. Télérama et Mediapart le rendent public le 13 décembre 2008. A mettre en perspective avec cette déclaration de Nicolas Sarkozy dans l'Express le 15 février 2007: « On ne peut pas être exigeant à l'égard de l'audiovisuel public et le laisser dans un état chronique de sous-financement. Je préfère qu'il y ait un peu plus de publicité sur les chaînes publiques plutôt que ces chaînes n'aient pas assez de moyens pour financer beaucoup de programmes de qualité. »

Concernant les pistes d'une autre réforme, nous vous recommandons la lecture des propositions de Télérama.

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"
France 2, France 3, jamais sans Nicolas"

Publié dans Point de vue militant

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T
Ce qui me contrarie le plus dans cette affaire idiote, c'est que je vais être obligé de regarder chaque soir La 1 afin de pouvoir, comme à mon habitude, aller 1 - me chercher une bière, 2 - faire pipi tranquillement sans m'en mettre plein les pantalons.<br /> A part ça, je pense qu'il est normal pour notre nouveau président de faire passer les amis en premier. C'est son habitude et il n'en changera pas. C'est tellement mieux de frayer avec les riches qu'avec les pauvres c... de français moyens.
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V
@ Sharky : le recours à la caricature signifie que tu n'as pas d'arguments plus fondés à ajouter? Non le PS n'est pas opposé à toute évolution et à toute réforme. Nous en avons d'ailleurs mené un certain nombre lorsque nous étions au pouvoir. Cette réforme de France Télévisions nous semble en revanche dangereuse, pour les arguments expliqués plus haut. <br /> Enfin, je t'en prie, dire que 90% des journalistes sont de gauche est non seulement faux, mais en plus totalement absurde. A l'exception de certains médias ou éditorialistes qui se revendiquent de gauche (Libé par exemple, qui a son pendant à droite avec Le Figaro pour ne citer que les plus connus), la grande majorité des journalistes respecte l'impératif de neutralité que demande leur fonction. A l'inverse, les équipes dirigeantes sont presque toutes de droite (TF1, Dassault, Lagardère, Bolloré, le dossier est long et déjà connu...), et en général, elles ne sont pas aussi respectueuses de la neutralité lorsqu'elles fixent les sujets et les titres des articles ou décident de censurer certaines informations ou certains sondages. <br /> Mais après tout, je ne suis pas contre des médias politisés, tant qu'il reste des sources d'informations neutres. France Télévisions l'est, mais le restera-t-elle, c'est tout l'enjeu de notre débat de ces derniers jours...
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S
Au PS on est toujours dans le roman d'anticipation du "si ça bouge d'un iota, l'Armaggedon arrivera". Il faut arrêter un peu, 80 à 90% des journalistes qui drivent l'info tous médias confondus sont de Gauche. Wake up boys!
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D
@ Sharky : en fait je crois que nous avons partiellement raison tous les deux... car nous ne parlons pas exactement de la même chose ! Ton modèle est cohérent pour les émissions de divertissement et les programmes culturels, mais tu ne peux pas nier la menace de subordination des journalistes au pouvoir pour les journaux et émissions d'information.<br /> <br /> Je le redis, l'avenir n'est pas dans la télé que l'on fait aujourd'hui (on est donc totalement d'accord). Pour ma part, je pense que le contenu fera la différence, donc les moyens. Le jour où TF1 sera obligé d'évoluer, ils le feront et auront les sous pour le faire, car ils mettront la pub sur leur service en ligne au lieu de le mettre à la télé uniquement. Pour FT, c'est moins sûr qu'ils aient les moyens désormais. Certains programmes mériteraient d'être revus, supprimés etc. (on est d'accord aussi, je regarde moi-même très peu la télé, en dehors des infos). Que l'argent qui finance Laurent Ruqiuer, Michel Drucker et Patrick Sébastien vienne de la publicité ou de l'Etat ne change pas grand chose s'il est correctement calculé et alloué. <br /> <br /> Le problème c'est que France télévisions a aussi une mission d'information, avec des objectifs qui ne sont pas couverts par d'autres chaînes car pas rentables à eux seuls (informations régionales par exemple). Sur ce point nous ne serons peut-être pas d'accord, mais le fait que les groupes de médias deviennent de plus en plus puissants et concentrés est une menace pour le pluralisme. Imaginer un service public dont le but serait de "faire la pédagogie des réformes" comme on l'a entendu, alors qu'on a déjà TF1 et une partie de la presse écrite qui sont directement contrôlés par des proches de Nicolas Sarkozy, cela nous fait peur. Nous avons des exemples, en Italie pour ne citer que le plus flagrant, des dérives de ce système. Si FT est soumis au pouvoir pour recevoir son financement, il n'est plus indépendant sur le fond. Voilà ce que nous ne voulons pas. <br /> <br /> Je ne pense pas que nous soyons bornés et opposés à toute réforme par principe. Sur celle-ci en revanche, nous sommes farouchement contre, et les sondages ont montré que les Français étaient très majoritairement opposés à ce projet qui a été décidé unilatéralement par Sarkozy (sans même prévenir ni le gouvernement ni la direction de FT, rappelez-vous).
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S
S'il est bien une technologie en train de vivre une révlution à vitesse grand V depuis des années il s'agit bien des médias numériques. FT comme TF1 en sont encore à la télé de papa et ont même vu leur contenu dériver vers le côté obscur.<br /> Même si TF1 risque de voir ses rentrée pub quelque peu progresser à CT (and so what?), je ne suis pas très confiant sur son avenir en fonction de l'évolution technologique à MT et surtout LT.<br /> <br /> Il est donc nécessaire que cela change car les deniers publics ne peuvent servir à cela. Nous sommes tous d'accord sur le constat, là ou vous vous interdisez d'aller et pas moi, c'est jusqu'au bout.<br /> <br /> Il faut que FT change pour y amener une valeur ajoutée certaine que l'audimat ne lui permet pas. Il faut forcer cette démarche qui ne peut être que politique, lui laisser ensuite sa chance. Si malgré tout cela, et il n'y a pas de raison, le résultat (quali pas quanti) n'y était pas, il n'y a pas de raison de continuer à perte.<br /> <br /> Je suis à chaque fois surpris de votre démarche anti-progressiste, vous êtes soit disant pour le changement, l'adaptation mais toujours dans le plus, jamais dans le moins, même s'il ne sert à plus rien. Service Public ne doit pas rimer avec être buter. Le Monde change, les Services aussi, denouveaux sont nécessaires et d'autres deviennent obsolètes. A un moment donné si le Service rendu n'est plus là, plus necessaire ou déjà donné (ce qui pourrait être le cas avec FT s'il ne change pas), il est tout à fait envisageable de le supprimer pour laisser la place budgétaire à un autre Service lui necessaire qui en a besoin mais pas les moyens.<br /> L'Etat n'est pas un puit sans fond et se doit de faire des arbitrages, peut être, je dis bien peut être, en est-ce un.<br /> <br /> Je crois qu'il s'agit d'un de vos problèmes fondamentaux ou vous voulez toujours plus sans rien abandonner ou sans effecter aucun recul. C'est finalement très puéril comme démarche intellectuelle car elle ne peut fonctionner et empêche des développements ou évolutions plus critiques. Vous verrez avec l'àge que choisir c'est toujours renoncer. Elle est là la vraie démarche progressiste.<br /> <br /> Pour Saussez que vous montez en mayonnaise, faute de mieux, il a été renvoyé dans ses 22 et le soufflé est retombé depuis un petit moment déjà.
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