En Sarkozie, rien de nouveau

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po

 Si l’affaire Bettencourt a été quelque peu occultée dans les dernières semaines par la diversion sécuritaire de la droite, elle reste d’une actualité brûlante et ne manquera pas de ressortir à la rentrée quand Eric Woerth sera en première ligne pour défendre le projet de réforme des retraites à l’Assemblée.

            Un bref récapitulatif de l’Affaire. Tout commence en 2007, lorsque la fille de Liliane Bettencourt, Françoise, porte plainte contre François-Marie Banier pour « abus de faiblesse. Cette affaire qui courait donc depuis quelques années a été remise au goût du jour par la révélation par le site Médiapart d’écoutes enregistrées par le majordome de Liliane Bettencourt. Ce qui aura pour conséquence l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « atteinte à la vie privée » et « vol et abus de confiance ». Mais en parallèle, l’ancienne comptable de Lilianne Bettencourt, Claire Thibout, confesse au même site avoir vu des hommes politiques défiler à la résidence Bettencourt à Neuilly pour y toucher de l’argent, et affirme surtout qu’elle a été impliquée dans un versement de 50 000 euros pour la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, par l’intermédiaire de Patrice de Maistre et d’Eric Woerth. C’est là que les choses se corsent et que ressort l’implication de l’Elysée. On passe du simple règlement de comptes (bancaires) sordide au sein d’une « grande » famille du CAC40 au financement occulte de parti politique.

Le but recherché ici n’est pas de faire un résumé de l’affaire, mais il me paraît clair d’avoir son déroulement en tête pour pouvoir réfléchir sur les implications autres que judiciaires de celle-ci, mais qui n’en sont pas moins importantes. Tout d’abord, c’est bien un problème de représentation qui se pose à nous à travers l’image que notre gouvernement nous renvoie de lui-même et de la France. Mais l’affaire est néanmoins représentative du système à deux vitesse de la France sarkozyste, un gouvernement qui ne semble réformer que pour les plus fortunés. Enfin, et c’est là le plus préoccupant, l’affaire va encore traîner en longueur et contribuer à faire monter dans l’opinion publique le populisme et les partis extrêmes.

 

 

Il est évidemment vrai qu’Éric Woerth n’est pas le premier ministre en exercice à être auditionné par la police. Dominique de Villepin l’a été en 2006 dans le cadre de l’affaire Clearstram, Pierre Moscovici l’a été en 2001 dans celui de l’affaire des marchés publics d’Île-de-France, tout comme Claude Bartolone, Michelle Alliot-Marie l’a aussi été… Bref, ce n’est pas les responsables politiques de droite comme de gauche qui manquent à l’appel.

Mais tout de même. Il paraît essentiel de s’interroger, jusqu’où va la présomption d’innocence chez un élu, et où commence la représentation ? Si Woerth est bien présumé innocent comme d’autres avant lui, un doute plane, et pas un petit. Et dans ce cas, comment accepter qu’un homme portant de tels soupçons continue à donner une image néfaste de notre pays à ses propres citoyens, mais aussi à l’étranger où nous sommes depuis quelques temps la risée des médias ( le mondial de football n’a certes pas aidé ). DSK avait démissionné lorsqu’il avait été mis en cause dans des affaires de conflit d’intérêt en 1999 , c’est un exemple à méditer. La démission ne doit pas être demandée à chaque audition d’hommes qui passent leur vie à la jonction du public et du privé, mais cela devient réellement un problème quand s’accumulent trop d’éléments à charge.

 

Ce qui est marquant dans cette affaire, c’est qu’elle est emblématique de la Sarkozie : de l’argent, des réseaux et des conflits d’intérêt. Pourquoi a-t-elle un tel écho dans l’opinion publique ? Ce qui choque n’est pas l’Oréal qui se déchire, c’est cette insupportable politique du deux poids, deux mesures. La matraque judiciaire ne tombe pas aussi aisément sur les milliardaires que les tribunaux sur les immigrés (pardon, les « français d’origine étrangère ») et les huissiers sur les familles modestes. Pourquoi le ministre du travail a-t-il été auditionné dans son ministère en profitant d’une pause déjeuner quand Claire Thibout a elle été auditionné à huit reprises, dont une fois en pleine nuit ? Mais « Ce genre de fleur n'est pas rare entre gens de bonne compagnie. Cela se fait et je ne suis pas surprise. On ne traite pas de la même manière un délinquant lambda des cités et un personnage de l'État", estime Clarisse Taron (présidente du Syndicat de la Magistrature). "Et cela est déplorable pour l'image que l'on donne de ce pays." . La Justice est aux ordres pour ceux qui sont proches du pouvoir et qui ont beaucoup d’argent, et c’est insupportable.

Le doute continuera à planer sur l’enquête tant que ne sera pas nommé, comme l’a proposé Eva Joly, un juge d’instruction indépendant. Car un procureur ne peut pas lancer de commissions rogatoires internationales pour savoir si le financement de la campagne de 2007 par Liliane Bettencourt a dépassé ce qui est légal.

 

L‘affaire va encore durer. L’Elysée ne peut pas se permettre de lâcher son ministre du travail quand va commencer la bataille politique qui va certainement décider de l’issue des élections de 2012. Et l’UMP est tranquille, l’argent liquide ne laissant pas de trace, pas de témoins, pas de risques d’identifier les bénéficiaires à moins de les prendre en flagrant délit. Ce qui explique l’énergie qu’Eric Woerth met à crier sur tous les toits son innocence, avec le procès de première instance, l’appel et la Cour de Cassation, l’affaire prendra au minimum cinq ans à être résolue.

La conséquence directe est dramatique. C’est la montée du populisme et du « tous pourris ». Conjugué avec les récentes déclarations sécuritaires, c’est un cocktail frontiste explosif qui risque de nous exploser à la figure d’ici peu.

 

Dans l’idéal, il faudrait prendre le temps de résoudre calmement l’affaire, de demander la conduite de l’enquête par un juge indépendant et de demander à Woerth de s’écarter du gouvernement le temps de sa résolution. Si réellement il est innocent, il n’en ressortira que grandi. Mais une justice impartiale avec les plus riches comme avec les pauvres, des affaires d’héritage qui se règlent entre héritiers et des réponses politiques censées ne sont malheureusement pas d’actualité dans notre « République irréprochable ».

 

 

Bastien Marguerite.

Publié dans Point de vue militant

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