Humeurs : Dérisions de nous dérisoires.
Depuis quand se lève-t-on pour théoriser, définir son identité ? Une identité se vit, se construit, évolue, mais en aucun cas ne se fige comme une définition de dictionnaire. Dès lors, le débat sur l’identité nationale me parait être l’arbre sacrifié pour cacher d’autres sujets beaucoup plus embarrassants. Il ne s’agit pas de refuser un débat que la gauche ne voudrait pas aborder, mais au contraire faire preuve de libéralisme sur cette question, face à une droite qui se dit moderne et qui pourtant fait preuve là d’un conservatisme “étonnant“.
Une identité ne se décrète pas, ne se théorise pas, elle se constate ou se construit.
L’identité nationale se construit par les politiques menées. C’est un bilan sur ce qui a été fait. Le futur ne relève pas encore de ce concept solennel mais de la trivialité de la tâche politique. Et de la même manière que les erreurs du passé font partie du capital de chacun, il faut empêcher, sans aucun antipatriotisme, sans auto flagellation, que notre identité soit réduite à des valeurs, par définition vertueuses. Certes, elles en font partie, mais y cohabitent également les actes d’éclat comme les moins glorieux ; de la Résistance de certains à la Collaboration d’autres, du refus à la guerre en Irak à la torture en Algérie. L’attitude de nos politiques sur la question démontre ce caractère incongru. Ces derniers, non seulement, font l’erreur de n’invoquer que des valeurs, mais en plus, ils évoquent tous les mêmes, celles inscrites sur les frontons de nos mairies. Evidemment ils évoquent les mêmes, puisque l'identité précède la conscience que l’on en a. Le caractère dynamique d’une identité ne vient pas d’une définition politique mais des motivations et des conséquences des réformes politiques, qui se font au nom de ce que devrait être le pays, pas au nom de ce qu’il est déjà. (On peut pour autant penser qu’il est déjà ce qu’il devrait être).
Il faut le répéter, le propre d’une identité est d’évoluer au gré de ce qui se vit. L’identité nationale se transforme donc à la marge, au fur et à mesure que la Nation affronte le cours de l’Histoire. Nul besoin aujourd’hui de mettre en place un débat. Qui irait aujourd’hui contester le passé historique de la France ? Qui irait remettre en cause l’égalité et la laïcité comme principes de fonctionnement de notre société ? Si une réforme doit les remettre en cause, soit elle sera acceptée, ce qui voudra dire que l’identité nationale n’est plus la même ; soit elle sera violemment combattue, ce qui voudra dire que la réforme va à l’encontre de cette identité, auquel cas elle échouera. Une nation se définit par ce qu’elle fait (ces actes répondants à des principes, mais ces derniers ne sont rien une réalisation concrète).
Théoriser l’identité nationale, c’est exclure et figer.
En réalité, si Nicolas Sarkozy et Eric Besson ont mis sur la table une telle question, c’est pour deux raisons principales (sans compter la raison électorale), qui relèvent plus d’une stratégie politique que d’une entreprise purement intellecuelle.
Ne serait-ce tout d’abord pas un moyen de stigmatiser ceux qui seraient à la marge de cette identité, ou perçus comme tels, c'est-à-dire les immigrés, les « auvergnats ». En témoignent la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, et la réponse de Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie, et maire de Nice, lorsque lui est posée la question de la validité du débat sur l’identité nationale. Ce dernier répond, en critiquant Martine Aubry et sa demande de régularisation (non massive) de sans-papiers. En effet, il n’y a pas de lien primaire entre les deux thèmes, sauf dans la stratégie gouvernementale qui exprime, ce n’est pas nouveau, une inquiétante agressivité à l’égard des immigrés, des non-caucasiens, et un amalgame entre immigration et identité nationale, comme la première mettait en danger la seconde. En figeant une définition, ils en refusent ainsi l’évolution et ferment la porte à l’extérieur. Amalgame et fixation sont aux services d’un projet non pas fédérateur mais diviseur pour notre société.
Il est possible d’attribuer à Nicolas Sarkozy une autre intention dans celle d’arrêter une définition de l’identité nationale. N’a-t-on pas besoin de préciser la définition de quelque chose quand le modifie, et pour légitimer cette évolution ? Car, justement, Nicolas Sarkozy a un idéal pour l’identité nationale qui n’est pas l’identité réelle actuelle. Bien que cette dernière puisse changer, aujourd’hui, elle implique la laïcité, ce qui signifie que le maitre et la maitresse sont plus habilités que le prêtre, le pasteur, l’imam ou le rabbin dans l’éducation civique et morale de l’enfant. Elle implique un sens de l’Etat, de la collectivité, du service public, (qui existait aussi chez les gaullistes). Si l’on peut discuter la manière de mettre en œuvre cette sensibilité, on ne peut nier son existence chez les socialistes, les giscardiens et les gaullistes qui ont seuls exercés le pouvoir depuis 1958. Elle impliquait la fraternité l’égalité de dignité, l’égalité des chances, au moins dans leur principe, que la politique sarkozyste bafoue en faisant de la politique d’immigration un vulgaire objectif chiffré, en opposant la France qui se lève tôt et l’autre, en stigmatisant les jeunes de cité sous le nom de « racailles ». Ces mots ne sont malheureusement pas que des mots. Ils traduisent une vision conflictuelle, très hiérarchisée de la société. En témoignent la mise en place d’un bouclier fiscal, la suppression de la police de proximité… Certes, il ne faut pas tomber dans la naïveté la plus totale ; dans « les quartiers » il existe des problèmes sociaux et des problèmes de sécurité, mais la seule agressivité, la seule répression et la seule stigmatisation ne résoudront rien.
Dès lors, lancer un débat sur l’identité nationale semble être un moyen de légitimer une politique de fragilisation du Pacte Républicain. Et tout social-démocrate que je sois, je vous renvoie à Abus de pouvoir de François Bayrou, qui constitue une juste critique de cet aspect de la politique entreprise par Nicolas Sarkozy. Ne parlons pas de la tactique de récupération des voix du FN…
Le débat autour de la définition de l’identité nationale est donc un faux débat, intellectuellement non viable, sauf à avoir une conception fermée et exclusive de la Nation. On ne peut pas interdire à Nicolas Sarkozy d’avoir pour idéal un autre modèle que l’idéal français et d’avoir une conception très conservatrice de la Nation. Pas plus qu’on ne peut nous interdire d’être opposé à Nicolas Sarkozy sur ce point, et donc de tout faire en sorte pour conserver ce modèle républicain. Et sans que cela empêche de l’adapter à la réalité. Adaptation ne rime pas forcément avec dénaturation. Cela passe par l’opposition sur des projets politiques, non sur des ambitions dogmatiques concernant la théorisation de notre identité nationale. L’Histoire est déjà là pour fixer une base solide. L’action politique fait l’histoire, voilà le seul vecteur viable pour parler d’identité nationale.
Timothée L.