LOPPSI et la lutte contre la pornographie: un prétexte à la censure?

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po

Le vote dans la nuit du 15 au 16 décembre et par 27 députés de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure semble être passé totalement inaperçu dans les médias (débordés par les sujets sur les chutes de neige, il faut croire..), mais il mérite pourtant toute notre attention. Il s’agit d’un vaste fourre-tout sécuritaire comportant des articles concernant des sujets aussi variés que la vidéosurveillance, les gens du voyage, la justice des mineurs, et enfin la protection d’Internet. C’est sur ce dernier volet que je voudrais revenir brièvement.

 

L’article 4, adopté mercredi soir par un nombre ridicule de députés, prévoit que les sites « présentant un caractère manifestement pornographique » soient censurés après décision du gouvernement. Cette nouvelle mesure sécuritaire est scandaleuse à plusieurs points de vue.

Tout d’abord les associations luttant contre la pornographie signalent l’inefficacité de cette loi : l’Ange Bleu en particulier rappelle que la grande majorité du trafic d’images pornographiques et pédopornographiques s’effectue via des réseaux de peer-to-peer ou par IRC. Le « dispositif cosmétique » adopté ne permet donc en aucun cas une lutte efficace. De plus, on peut s’interroger sur la moralité d’une loi prétendant censurer ces contenus plutôt que de lutter à la source contre le problème. Ce n’est pas en se bouchant les yeux que les fichiers pornographiques disparaitront.

Pour continuer, la mesure adoptée hier est une « violation patente de la liberté d’expression et de communication » et contrevient de façon explicite à la « séparation des pouvoirs », selon les propos de Félix Tréguer, chargé des affaires juridiques et institutionnelles à la Quadrature du Net. En effet, l’article prévoit que toutes les décisions sur les sites à censurer seront prises sans aucune surveillance judicaire, et que la CNIL (commission nationale informatique et libertés) est également exclue du processus décisionnel. Seul l’OCLCTIC, organisme rattaché au Ministère de l’Intérieur, aura le pouvoir de décider quels sont les sites à interdire. Cette « liste noire » sera tenue secrète (contrairement par exemple à la liste des revues censurées en France). Il s’agit donc tout simplement d’une légalisation de la censure. L’article indique de plus que l’OCLCTIC n’est aucunement obligé de produire un rapport au bout d’une ou deux années, ce qui entraine donc un secret total quant aux sites censurés.

         Enfin, l’article 4 présente de nombreux points techniques très contestables. En effet, procédant de manière comparable, l’Internet Watch Foundation britannique a en 2008 détecté une pochette de l’album du groupe Scorpions sur Wikipedia qui lui paraissait relever de la pornographie infantine, et a bloqué le site encyclopédique pendant plusieurs heures. Cet exemple est révélateur en ce qu’il nous montre les dérives réelles entraînés par une réglementation de ce type. L’Allemagne a adopté une mesure comparable, et a fait machine arrière quelques semaines plus tard en confessant l’inefficacité et l’échec du filtrage. Sur les 8000 sites que comportait la liste noire de la police, 110 seulement contenait effectivement un contenu pornographique. Il semble hautement probable que nous connaitrons les mêmes dérives avec LOPPSI 2.

Notre devoir en tant que citoyens, en tant qu’étudiants, en tant que socialistes et sympathisants de gauche est de réagir à cette loi absolument scandaleuse, en commençant par en informer un large public puisque les médias traditionnels semblent faillir à cette mission.

 

Agathe Martin-Gougenheim

Quelques sites internet intéressants sur le sujet

http://www.laquadrature.net/fr/loppsi-censure-administrative-du-net-adoptee-les-pedophiles-sont-tranquilles

http://www.zdnet.fr/actualites/loppsi-2-du-filtrage-web-tenu-secret-et-sans-arbitrage-de-la-justice-39756906.htm

http://www.korben.info/le-cadeau-de-noel-de-brice.html

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