Pour une autre politique africaine de la France… Comment guérir le « syndrome rwandais » ?

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po


Les réquisitions du procès dit de l’Angolagate se sont achevées la semaine dernière. Ce gigantesque trafic d’armes portant sur 790 milliards de dollars, impliquant entre autres un conseiller élyséen, un ancien ministre de droite, le fils d’un ancien président socialiste, un politicien russo-canado-israélien, n’est qu’un épisode de plus dans cette longue saga de liens souvent incestueux entre potentats africains et élites politiques françaises.  Ces relations sont plus connues sous le surnom de « Francafrique » ou bien moins flatteur de « Pompafrique » ou « Maffiafrique ».

Au cours de sa campagne, le candidat Sarkozy avait prôné la fin de la Francafrique, pour mettre en place une « diplomatie des droits de l’homme ». Les premiers pas du Président Sarkozy en termes de politique africaine étaient relativement satisfaisants. La nomination, pour la première fois dans l’histoire de France, d’un conseiller Afrique parlant couramment le swahili ainsi que l’accent mis sur les pays d’Afrique Australe (Botswana) notamment montraient une authentique volonté de « rupture ». L’activisme du nouveau ministre des Affaires Étrangères Bernard Kouchner avait permis le déploiement de l’EUFOR, une force d’interposition a la frontière tchadienne pour aider ce pays a gérer les flux de refugies en provenance du Darfour.

Le choix de renouer de solides relations avec la Lybie du dictateur Muammar Al Qaddafi était tout à fait condamnable sur le plan des droits de l’homme, mais avait toutefois le mérite de s’inscrire dans une logique stratégique. Bien que mis au ban de la communauté internationale par les américains et les européens, Kadhafi conserve en effet le respect de ses pairs au sein de l’Union Africaine, y compris de la part de démocraties comme l’Afrique du Sud qui lui est redevable pour son soutien actif à l’ANC lors des années de lutte contre l’apartheid. Kadhafi est aussi la clé de la stabilité au Sahel. La Lybie soutient, directement ou bien en facilitant des livraisons de matériel militaire, les guérillas armées au Niger (le Mouvement Nigérien pour la Justice d’Agaly Alambo) et au Mali (Ibrahim Ag Bahanga et la rébellion touarègue de l’Adrar des Ifoghas) ou encore les principaux mouvements rebelles au Darfour (notamment le JEM, Mouvement pour la Justice et l’Egalite). Enfin, la lune de miel avec la Lybie permettait de rétablir un équilibre stratégique au Maghreb : l’Algérie se rapprochait de la Russie, et alors que le roi du Maroc Mohammed VI préfère mener une politique étrangère discrète pour se concentrer sur les questions domestiques, risquait d’obtenir l’hégémonie au Maghreb.

Mais l’idéologie néocoloniale a vite repris le dessus. Il est ainsi significatif de noter que le ministre des Affaires Etrangères Bernard Kouchner a effectué moins de voyages en Afrique que le Ministre de l’immigration Brice Hortefeux. Le premier voyage officiel africain du Président Sarkozy en juillet 2007 a d’ailleurs été une véritable tournée des barons de la Francafrique, dont l’inamovible dictateur gabonais Omar Bongo, au pouvoir depuis 40 ans (sic !). Cette tournée a d’ailleurs été ponctuée par le tristement célèbre discours de Dakar aux relents néocolonialistes voire racistes, rédigé par le Conseiller spécial du Président Henri Guaino. Une multitude d’intermédiaires douteux, comme l’avocat Robert Bourgi qui s’était vanté dans une interview au Point d’être l’héritier des réseaux Foccart, ou bien comme Patrick Balkany. L’éviction de Jean-Marie Bockel et son remplacement par un pion (Alain Joyandet) au Ministère de la Coopération, après qu’il ait déclaré dans un entretien au Monde qu’il comptait « signer l’arrêt de mort de la Francafrique », montre clairement une reprise en main. L’aide de l’armée française au régime du tchadien Idriss Deby en Décembre 2007 et le soutien au président camerounais Paul Biya lors de la sanglante répression des émeutes de la faim en mars 2008 avaient montré une fois de plus le visage hideux de la Francafrique.
Il semblerait que la « Rupture » ne s’applique pas à la politique africaine de la France. Au contraire, on assiste à la « Francafrique décomplexée », au retour à de vieilles pratiques désormais assumées en plein jour.

Mais une politique africaine alternative doit dépasser la trop simpliste dénonciation de la Francafrique et doit proposer une nouvelle approche. Au delà de relations coupables avec les dictateurs africains, les relations franco-africaines sont empoisonnées par une méfiance constante de la part des partenaires africains. La montée en puissance des organisations de la société civile africaine depuis la chute du mur de Berlin et le précédent de la Conférence Nationale Souveraine de 1989 au Benin, conduit à une critique plus affirmée des liens entre la France et les dictateurs africains, au point que les jeunes générations l’assimilent souvent au conservatisme au pouvoir et préfèrent se tourner vers de nouveaux partenaires : Etats Unis, Chine, Inde voire Malaisie ou Pays du Golfe. Ainsi, depuis le début des années 1990, la France perd son influence dans la région et se trouve constamment prise entre deux feux, entre un soupçon d’ingérence néocoloniale et un soupçon de mépris pour le continent africain.

C’est ce qu’on peut appeler le « syndrome rwandais », quand en 1994 la France avait été accusée a la fois de ne pas intervenir pour empêcher le massacre puis, une fois le déploiement d’une force d’interposition, de protéger les génocidaires hutus. Depuis, nombre d’analystes considèrent que la politique de la France est « maudite » et toute action (ou non-action) sera marquée du sceau de la suspicion et de la critique anti-impérialiste. Ceci est clairement apparu lors des événements au Tchad l’an dernier mais aussi au cours de la crise ivoirienne de 2002.

L’idée que ce sont l’esclavage puis les ressources naturelles de l’Afrique qui ont permis à la France d’accéder à son statut de pays riche est fortement ancrée au sein de la population, suscitant une sorte d’amertume. Inversement, le système colonial puis le maintien de relations étroites avec les dictateurs africains sont considérés comme la principale cause des malheurs de l’Afrique (pour comprendre les bases théoriques de cette idée, cf Walter Rodney, How Europe underdeveloped Africa).
L’enjeu va donc bien au delà d’un simple changement de politique. Au delà de l’arrêt du système de la Francafrique, il faut en finir avec ce sentiment de suspicion permanent et  rétablir cette confiance perdue. Il faut trouver un remède au syndrome rwandais avant même de chercher à mettre en place une nouvelle perspective stratégique ou de nouveaux liens économiques.
On ne peut donc pas traiter les relations franco africaines en découpant les problèmes de façon thématique. Le principal enjeu est de mettre en place une approche globale des relations –franco-africaines, qui regroupe les principales thématiques (immigration, lutte contre le racisme, aide au développement, relations internationales, exportations, etc).
Il s’agit aussi de mieux reconnaître le passé pour faire table rase et construire du neuf.

Nicolas B.

Publié dans International

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E
La suède, l'allemagne la suisse et le luxembourg n'ont pas pillé<br /> l'afrique et cela se voit dans l'état extrême de pauvreté dans <br /> lequel ces pays se trouvent ..<br /> <br /> Allez une petite vidéo sur un mec de science po <br /> en francafrique ... <br /> http://www.fdesouche.com/articles/33981#comments<br /> C'est beau non ? toute cette diversité.
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