Comprendre la défaite pour construire l’avenir.

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po

 
Pour la troisième fois consécutive, la gauche vient de perdre l’élection présidentielle. La défaite de Ségolène Royal s’explique par des causes immédiates comme le manque de soutien de certains cadres du parti pendant la campagne ou encore la proximité des primaires avec l’élection présidentielle, qui a fournit des arguments à la droite contre la candidate. Néanmoins, ces causes sont mineures et ne doivent pas servir à masquer une véritable défaite en 2007. Il n’y a aucune raison de se réjouir ou de fêter le score de 47%. C’est un échec cuisant qu’il faut analyser et comprendre, si l’on ne veut pas qu’il se reproduise indéfiniment.
 
L’analyse qui suit n’engage que moi.
 
 
Deux défaites pour cette élection
 
Il me semble que nous avons perdu deux fois au cours de cette élection. Nous avons d’abord perdu la bataille idéologique et nous avons ensuite échoué à incarner le changement.
 

La défaite idéologique
 

« Trop longtemps, la droite s’est excusée d’être la droite ». Cette phrase de Nicolas Sarkozy résume assez bien la victoire idéologique qu’il a remportée au cours de cette élection. Au cours des élections précédents, la gauche prônait des valeurs fortes qui dépassait le cadre du parti socialiste et qui étaient reprises par la droite au pouvoir. Les avancées sociales ont été l’œuvre de gouvernement de droite comme de gauche. Le modèle de laïcité, l’égalité, voilà des valeurs de gauche qui faisaient il y a encore peu l’unanimité.
Au cours des dix dernières années, il y a eu un retournement de situation. Ce sont maintenant les valeurs de droite qui domine, et on a parfois eu l’impression au cours de cette élection que la gauche s’excusait d’être la gauche.

Les thèmes de l’élection ont en conséquence porté sur ces thèmes et ont désavantagé la gauche :
 

- La sécurité. Bien sur elle est nécessaire, bien sur il faut de la répression. Cela dit, on a vu le bilan de Sarkozy à l’intérieur, il est loin d’être meilleur que les politiques menées par la gauche. L’idéologie dominante aujourd’hui voudrait que la prévention n’ait presque aucun intérêt, le tout serait de faire de la répression. D’ailleurs, quand Sarkozy parle de « faiblesse génétique », il renvoie à l’innée, ce qui n’est pas soignable : Il faut donc de la prévention. Bien sur Ségolène a dit qu’il fallait l’éducation au cœur de tout. Mais son attitude sur ce thème de la sécurité au débat était révélatrice de la faiblesse de la gauche. Elle a foncé sur ce thème plutôt que de parler des institutions, pourtant point fort du programme du PS, et elle a attaqué Sarkozy en se montrant plus sécuritaire que lui, en expliquant que les femmes policières devaient être raccompagnées, ou encore qu’elle n’avait pas voté une loi car elle n’allait pas assez loin dans le sécuritaire.
 

- L’immigration. Oui, disons le clairement, attendre à la sortie d’une école un grand-père sans papier venant chercher son petit-fils pour l’arrêter, c’est une honte pour la France. Car quelle est la vraie conséquence d’une telle décision ? Et bien les personnes sans papiers n’enverront plus leurs enfants à l’école. Où était le PS pour dire cela. Oh, bien sur, on s’est ému de ce qui était arrivé à ce grand-père. Mais qu’a-t-on proposé ? Une régularisation au cas par cas, c’est-à-dire ce que propose Sarkozy. Pourtant, on sait bien que la France va avoir un recours massif à l’immigration pour assurer la pérennité et le renouvellement de sa population, les experts le disent. On peut continuer sur l’ « immigration choisie », colonisation moderne, qui consiste à voler les élites des pays en développement, et les dissuader par conséquent d’investir dans l’éducation. Ou encore sur le « ministère de l’immigration et de l’identité nationale ».
 

- La Nation. Soyons clair, je ne compte en aucun cas critiquer le fait que Ségolène ait parlé de la nation, qu’elle ait souhaité revenir aux symboles de la France, son drapeau ou son hymne. En revanche, la gauche qui ne s’excuse pas d’être de gauche aurait davantage insisté sur l’idée qu’être membre de la Nation, c’est accepter de contribuer à la solidarité, en payant l’impôt. Oui, l’impôt est nécessaire pour la Nation, et pour la cohésion de la société, on ne l’a pas entendu.
 

-Le travail. C’est lié à l’impôt. Etre taxé sur un travail est difficile à accepter. En revanche être taxé sur ce qui ne correspond pas aux fruits de son labeur est bien plus légitime. Pourquoi alors la gauche a-t-elle été incapable de prouver que la suppression des droits de succession était une mesure lamentable ? La réduction du temps de travail est également un acquis social et pour la première fois on entend le « travailler plus » revenir.
 
On pourrait continuer longtemps sur l’idéologie, l’égalité qui se transforme en équité, le retour d’un vocabulaire violent « racailles », « karcher », « liquider » « reformater ». Et oui, Sarko veut « reformater » l’esprit des français.
L’enjeu pour la gauche de l’après 2007 sera de reconstruire l’idéologie de gauche sans tomber dans le dogme. Pour cela, il faudra aussi recevoir l’aide des intellectuels.
 

La défaite de l'incarnation de la continuité
 

Sarkozy, Fillon, MAM, Hortefeux, Lagarde, Bertrand, Borloo, Boutin, Bachelot… Tous ont déjà été ministres, tous sont pressentis pour faire partie du gouvernement « resserré » de Sarkozy, tous révèlent la continuité de la politique chiraquienne. Et pourtant, dans cette élection, Sarkozy a réussi à incarner le changement.
 

- D’abord il a réussi a montré que là où le pays nécessitait des réformes, il pouvait en proposer. Il avait une vision claire sur chaque sujet. Pour les 35h, il permettait de travailler plus pour gagner plus ; pour réduire la dette il proposait de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ; on pourrait prendre encore plein de points de son programme, sur l’université, les retraites, il y avait des propositions précises.
 
Ce que nous proposions, c’était le dialogue. Une nécessité absolue ; mais pas suffisante. Aujourd’hui, alors que les gens ont envi de faire bouger la France après les cinq années d’immobilisme, que proposions-nous sur les 35 heures ? Un temps, il fallait revenir dessus, un temps, il fallait les généraliser, un temps ce serait les syndicats qui en décideraient. Que proposions-nous sur la réforme de retraite pour donner de la pérennité au système ? Rien de précis. Alors que la population est de plus en plus âgée, un tel silence sur ce dossier sensible était-il acceptable ? Bien sur, avec la croissance ceci, avec la croissance cela…Les Français n’attendent plus la croissance. Sur la dette, que proposions-nous ? Encore la croissance.
 
Ainsi aux yeux des français, la gauche n’allait mener aucune réforme et laisser l’actuel système perdurer. Ils n’ont pas voté Sarkozy par adhésion à mon avis. Simplement, ils ont eu l’impression qu’il était le seul à proposer une alternative au marasme actuel.
 

- Changement ensuite, dans les têtes. Benoît Hamon a dit une phrase très juste, samedi dernier. « Au PS, ceux qui ont commenté la défaite de 2007 étaient les mêmes que ceux qui commentaient la défaite de 1995 ». Il n’y a pas eu l’émergence d’une nouvelle génération au PS. Ce renouvellement de génération est probablement nécessaire pour l’avenir.
 

Construire l’avenir

Il y a d’abord les législatives, dans quelques jours, et jusqu’à cette élection, il faut rester groupé pour donner une majorité la plus faible possible à Sarkozy.
 
Ensuite, il faudra réfléchir, et proposer des visions pour la France, des solutions claires. Il faut mettre un terme à ces synthèses molles qui permettent l’unité au moment du congrès et la division au moment de la présidentielle.
 
On peut, pour ne pas risquer de perdre, rester uni et ne pas se disputer d’ici les municipales, puis jusqu’aux européennes, et aux régionales. Et l’on gagnera peut-être ces élections, par rejet de la politique sarkozienne. Mais alors, on perdra la présidentielle.
 

Il faut au contraire que tous nos désaccords apparaissent, que chacun affirme sa ligne, qu’elle soit claire, directe, et sans ambiguïté. Il faut que l’on débatte, sur les idées, quitte à se déchirer et à se diviser. Ensuite, il y aura un vote, lors du prochain congrès. Il faudra que tous les courants de pensée, même minoritaires, soient autorisés à se présenter. Au final, il y aura une ligne qui vaincra. Les autres s’adapteront à cette ligne ou quitteront le parti. Sur cette ligne non ambiguë et très claire, nous commencerons la refondation du parti afin qu’il redevienne un parti présidentiel, afin que l’on vote « pour » le PS, et pas « contre » Sarko
 

La question de personne est une question mineure
. Peu importe de savoir aujourd’hui qui de Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius, Bastien Taloc ou autre sera le prochain boss du PS et candidat à l’élection présidentielle. Si nous fixons clairement un cap, le leader s’imposera de lui-même.
 
Il ne faut plus ce système de primaires où l’on choisit six mois avant l’élection via le système de primaire quelle gauche l’on va être. Il faut que ce soit un choix de long terme.
 

Ce choix engagera le PS non seulement pour les cinq années qui vont venir mais probablement davantage encore. C’est la raison pour laquelle le débat devra être très libre, très honnête et très directe. Ce blog sera un outil de débat, ou chacun pourra s’exprimer.


Etienne Longueville

Publié dans Point de vue militant

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
j'avais mis un point d'interrogation derriere mon "mouvement socialiste transnational" - cf deja l'Internationale, hein. Sharky, rien n'interdit de se vouloir pragmatique et de regarder les questions d'un point de vue mondial. L'un ne suffit pas a l'autre ,mais il me semble que ces deux options sont loin de s'exclure mutuellement.
Répondre
S
Eh bien dites donc, cela a l'air mal embouché, on le savait pour 2012, mais à ce rythme en 2017, on ne parlera de vous que dans les livres d'histoire.<br /> <br /> <br /> Se refonder autour de "mouvement mondial" (il n'y a qu'a voir le succès de Bové), Karl Marx, "mouvement socialiste transnational" (sic)??? Réveillez vous les garçons, c'est la voie sans issue là. Le socialisme à la papa comme vous le fantasmez, cela n'existe plus qu'en France les autres pays n'en veulent plus, les électeurs n'en veulent plus non plus. Donc point de mouvement mondial ou transnational qui tienne, c'est bon pour une intelligentsia parisienne qui veut s'encanailler avec de grandes théories "progressistes" décalées.<br /> <br /> <br /> Les électeurs attendent des réponses, des solutions simples et réalistes à leur problème ou peurs, eh oui, c'est très égoiste mais c'est comme ça. Ils ne croient plus aux belles histoire socialisantes, ils sont pragmatiques. Le bon politicien, et donc le bon discours, est celui qui est capable à la fois de répondre clairement, simplement et précisemment à ces attentes individuelles avec les éventuelles contraintes inhérentes (les gens ne croient plus aux promesses de la Gauche du genre demain on rase gratis, ils ont compris que tout avantage avait un coût et son pendant), et à la fois aux contraintes et attentes globales qui dépassent le seul petit électeur de base.<br /> <br /> <br /> C'est par cette cohérence responsable, ou perception de celle-ci que les citoyens s'engagent. En percevant un discours simple et clair ou ils sentent que leur situation personnelle aura des perspectives d'améliorations au niveau micro, que la maison France sera bien tenue au niveau macro est le vrai ticket gagnant.<br /> De grandes théories fumeuses assises sur de la fumée ou des bonnes intentions seules, dénuées de pragmatisme, de message clair et continu, d'anticipation ne conduisent plus à rien.<br /> <br /> <br /> C'est là le principal point noir du PS, son amateurisme plus ou moins éclairé. C'est un peu comme ces longues nuits blanches entre copains ou on refait le Monde, c'est rigolo mais irréaliste car on ne fait que survoler et aller vers les idées les plus farfelues. Hors les citoyens veulent du concrêt, plus du vent. La vraie révolution du PS est sans doute là, de s'orienter vers un ultra pragmatisme éclairé et professionalisé. Hors les marchands de sable se comptent par légions au PS, les vrais pro sans doute sur les doigts d'une main et ils filent à Droite car on les comprends au moins, là ou à Gauche on les balaye d'un revers de main idéologique.<br /> <br /> <br /> Mais si même à Sciences Po, vous en êtes encore au stade de doux rêveurs, la relève n'est pas assurée.
Répondre
N
d'ou l'importance, deja, de l'UE... et de la nécessité de construire un mouvement socialiste transnational? Globalement d'accord avec l'analyse d'Etienne - sans grande surprise pour ceux qui me connaissent ;-)
Répondre
D
Pour un projet vraiment socialiste, il faudrait commencer par ne pas  se limiter à "proposer des visions pour la France".Le socialisme ce doit être un mouvement mondial de transformation du monde. On ne résoudra pas les problèmes dans un cadre national qui est dépassé."Les travailleurs n'ont pas de patrie", écrivait Karl Marx...
Répondre
B
Je suis stupéfait d'apprendre que je suis dans les starting blocks pour la prochaine présidentielle ou pour le premier secrétariat ;-) Je me contenterai du secrétariat de section !
Répondre