Bruno Spire (III) : Les projets de AIDES

Publié le par Section socialiste de Sciences-Po


Troisième et dernier volet du compte-rendu de la rencontre de la section avec Bruno Spire.

Étienne : Récemment, une femme a été condamnée par la justice pour avoir transmis le virus du SIDA à son mari. Qu'est ce que tu en penses ? Peut-il y avoir condamnation si la transmission est volontaire ?
BS : En France, il n'y a pas un droit spécifique pour punir la séropositivité, et c'est une chance. Mais c'est pas pour autant que les gens ne peuvent pas porter plainte. Tout le problème est dans le terme 'volontaire'. Dans tous ces projets, la majorité concerne des gens qui se savent séropositifs mais qui n'ont pas pu le dire à leur conjoint. Les juges eux considèrent que oui, c'est volontaire. Ils prennent l'exemple du meurtre en état d'ivresse : malgré l'ivresse, la personne a tué et il y a donc responsabilité pénale.
Le problème est aussi que les associations n'ont pas assez bossé avec les juristes sur ces questions : elles n'ont donc que des arguments de santé publique. Notamment l'argument que si la personne séropositive doit le dire, ça ne va pas inciter au dépistage. Pour beaucoup de personnes, elles n'arrivent pas à le dire aux autres. C'est la responsabilité des gens aussi : il n'y a rien dans le système de soin pour aider les séropositifs à le dire.
En ce moment, il y a un procès en Bretagne au sujet d'une personne qui a perdu son job parce qu'elle a avoué devant tout le monde qu'elle était séropositive.
C'est facile de punir, mais ça donne le mauvais message. Si l'on ne condamne que la personne séropositive, ça veut dire que c'est seulement la responsabilité des séropositifs que de se protéger. C'est bête car avec les traitements ce sont les séropositifs qui ne savent pas qu'il le sont qui transmettent le plus ! Donc c'est bien la responsabilité de chacun que de se protéger. Pour AIDES, la pénalisation de la transmission n'est pas compatible avec la santé publique, sauf dans les cas très rares où on peut prouver une vraie volonté de nuire.
Mais quelqu'un qui n'arrive pas à le dire, et qui ne se protège pas, c'est très compliqué de le punir.

Étienne : Justement, à propos du suivi après le test des personnes qui apprennent qu'elle sont séropositives, quels sont les dispositifs aujourd'hui ?

BS : Lorsqu'on apprend que l'on est séropositif, pour beaucoup il y a une chute de la libido pendant quelques mois. Il y aussi des gens qui n'arrivent jamais à l'accepter, et qui du coup n'en parlent pas. Ça s'appelle du déni. Et ces personnes se retrouvent parfois devant des tribunaux. Parce que quelqu'un a porté plainte ! parce qu'il faut bien que quelqu'un porte plainte pour que ça aille au tribunal... d'ailleurs, souvent, on utilise ça pour régler des comptes dans le couple.
Chez certains, il y aussi l'idée que pour les toxicos et les migrants séropositifs, « il l'ont cherché »...

Étienne : À propos de la politique internationale et des traitements et médicaments dans le monde : quelle est la participation de la France à la lutte contre le SIDA ? Quels sont les moyens, les associations ?

BS : La France est un grand contributeur du Fonds mondial, qui fonctionne sur la base du multilatéralisme. Aux États-Unis, il y a une vision différente : une initiative de Bush, par exemple, conditionne l'aide SIDA à la conclusion d'accords commerciaux. La France s'était engagée à augmenter sa contribution, mais depuis 2 ans on assiste à une érosion de la contribution française. On grignote. Alors que sa devrait changer d'échelle ! Et la France ne montre pas l'exemple. Ça a des effets, le Fonds mondial est obligé de faire des coupes : du coup on aura plus de morts.
Une autre chose : à AIDES, on développe pas des antennes à l'étranger, parce que la colonisation, c'est fini. Mais on a des partenariats avec des associations communautaires de personnes séroconcernées dans l'Afrique francophone. D'ailleurs, certaines sont beaucoup plus avancées qu'ici en France. En ce moment, AIDES les aide sur des sujets politiques, notamment pour l'association Africa Gay. Car on se rend compte qu'en Afrique de l'Ouest, le SIDA ne concerne pas uniquement les hétérosexuels : il y a 20% de séropositifs chez les gays, mais l'homosexualité dans ces zones est souvent une réalité occultée. Actuellement, 9 militants du Sénégal qui faisaient de la prévention auprès des homosexuels, ont été emprisonnés car soupçonnés d'être homosexuels (c'est un crime dan ce pays).
AIDES fait notamment du sauvetage de militants, et tente d'agir sur les organisations internationales pour faire des pressions sur le Sénégal.

Question : quelle est l'approche de AIDES sur les migrants récents ? Au Tchad, par exemple, c'est impossible que la femme exige que son mari mette un préservatif. Donc la responsabilité n'est pas vraiment partagée. Les homosexuels sont réprimés beaucoup plus violemment.

BS : AIDES travaille beaucoup avec les migrants, et certains deviennent membres de l'association. Mais le mode d'action parmi eux c'est eux qui le décident. Il y a un réseau d'associations de migrants coordonné par AIDES qui leur fournit des ressources, mais ils en font ce qu'ils veulent.
On fait aussi des actions dans les salons de coiffure, car ce sont des lieux de socialisation. On y va pour former les gens qui y bossent à parler du SIDA : ce sont des relais efficaces.
Au sujet de la criminisation : on a cru que c'était pour protéger les femmes car effectivement elles ne sont pas dans des situations égales aux hommes. Mais on s'est rendus compte qu'en faite c'est elles qui vont en prison. D'ailleurs, c'est plus des migrantes que des migrants qui viennent dans AIDES ; dans leur pays d'origine aussi, c'est souvent les femmes qui prennent en charge la santé.

Étienne : Changeons de sujet : tu as évoqué le fait que la lutte contre le SIDA a contribué à obtenir certains droits, notamment pour les homosexuels. Quel a été ce rôle exactement ? Quel est la part du travail des associations dans l'obtention du PACS ?

BS : Il y a eu d'autres conquêtes que le PACS : la réduction des risques, l'AME (Aide médicale de l'Etat, ndlr), qui ont étés obtenus par la lutte contre le SIDA. La progression des droits, ce n'est pas seulement le fait des associations concernées par le SIDA, mais c'est vrai qu'utiliser l'argument de la santé publique ça marche bien. Les dirigeants sont sensibles à cet argument, car ils sont responsables de la santé publique de toute la communauté. C'est un argument de raison.


Étienne : Parlons de AIDES un peu plus en détail. Comment est ce que c'est organisé ? Être une organisation militante, ça implique quoi ?

BS : Ça signifie que les gens qui viennent s'engagent à faire des actions. Au moins une action. Mais pour pouvoir faire des actions, il faut les formations nécessaires. Le principe de base à AIDES c'est : 3 week-ends de formation (à Paris : 2 week-ends et une soirée).
Ce n'est pas une formation 'universitaire' : on travaille sur soi-même, on fait des jeux de rôle,.. c'est un vrai plaisir. Une fois qu'on a fait la formation on s'inscrit dans une ou plusieurs activités. On peut participer à la vie politique de l'association, devenir un élu local, régional ou national. AIDES est en effet organisée en 3 niveaux : au niveau des départements, au niveau de 6 'régions', et au niveau national.

Étienne : Quels sont les buts de AIDES ?

BS : Les buts de AIDES se rattachent à des valeurs ; on ne dit pas aux gens ce qui est bon pour eux. Il s'agit d'entendre les difficultés des gens. On ne le juge pas en fonction de leur orientation sexuelle, leur style de vie sexuelle, leur modes de consommation,... Donc c'est vraiment les personnes séroconcernées qui viennent. Si ça n'était que les personnes qui prennent pas de risques qui venaient, ça ne servirait à rien.

Étienne : On avait eu sur notre blog un débat à propos de la personne condamnée pour transmission volontaire. Une personne contaminée par le VIH était venue sur le blog critiquer les associations comme AIDES. Cette personne avait l'impression que AIDES se spécialisait dans la prévention et délaissait un peu les personnes inféctées.

BS : Je vous renvoie au rapport d'activité de AIDES. En termes de présence à l'hôpital, d'éducation thérapeutique : AIDES fait beaucoup pour les droits des malades. Parfois on nous accuse de ne pas faire d'aide sociale. Pour AIDES, on n'est pas là pour faire la banque alimentaire des séropositifs. SI on fait un truc social, ça doit être une plus-value par rapport à ce qui existe déjà. Par exemple, au sujet de l'aide financière aux séropositifs, AIDES a une commission de militants qui évalue les situations individuelle, et le cas échéant réoriente vers les institutions existantes ; pour que ça soit utile pour les autres aussi. AIDES ne fait pas dans le caritatif.

Thomas E : Être malade du SIDA aujourd'hui, dans l'esprit des gens : Est-ce que cela avance ? Vous avez cité ce cas en Bretagne. Qu'en est-il sur l'ensemble du territoire ?

BS : c'est compliqué. AIDES conseille au séropositifs de ne pas le dire sur le lieu de travail. Notamment pour ceux qui doivent retrouver du travail à la suite d'un trou thérapeutique, ça passe pas si on dit que c'était à cause du SIDA. De plus, c'est compliqué pour ces gens de se maintenir dans l'emploi, à cause des traitements.

Thomas E : Quel est l'arsenal juridique existant pour protéger ces personnes ? Pour juger des discriminations ?

BS : L'arsenal juridique existe, mais il faut que l'employeur soit assez stupide pour dire qu'il licencie à cause de la séropositivité. La plupart du temps, il trouve un autre motif. De plus, si la personne séropositive est souvent absente pour raisons médicales, l'employeur a sous certaines conditions droit de la licencier.
Le problème est dans les mentalités. AIDES essaye de faire des actions avec les entreprises et les syndicats pour sensibiliser et éduquer à l'acceptation des séropositifs.

Sébastian : J'ai une question sensible. Pouvez-vous caractériser l'action d'Act Up ?

BS : Ce sont des lobbyistes. Il font des plaidoyer et pas des actions...Avec parfois des méthodologies un peu trash, mais parfois extrêmement utiles. C'est un peu le bras armé de la lutte.
Au sujet des labos par exemple, quand un labo ne veut pas mettre en circulation un nouveau produit, Act Up fait un 'moment d'émotion'. Ça rajoute, on en parle : ça aide.
Là où AIDES n'est pas d'accord, c'est sur la question de la prévention chez les gays. Act Up est sur la ligne du tout préservatif, avec une logique d'exemplarité, de morale chez les gays. On n'est pas d'accord parce que AIDES a une approche de non-jugement. Les gens qui ne mettent pas de préservatifs, ce ne sont pas des irresponsables : ils cherchent d'autres solutions (relations sexuelles uniquement avec des séropositifs,...). Un certain nombre de personnes refusent qu'on les oblige à mettre le préservatif, au nom de la recherche d'autres solutions. Il ne faut pas avoir un discours injonctif envers ces populations sinon on perdra le contact et on ne pourra pas leur parler. C'est la divergence de fond avec Act Up.

Étienne : Pour finir, quel est le bilan de AIDES pour 2009, et quels sont ses objectifs pour 2009 ?

BS : Ces dernières années, on s'est un peu recentrées sur la problématique du SIDA. Avant on avait tendance à s'occuper de toute la problématique de la santé publique, mais pour moi le boulot de AIDES c'est pas de trouver la solution aux problèmes de la sécurité sociale. C'est ma politique, que j'ai expliquée lorsque je me suis présenté à la présidence de l'association. Un autre axe a été de se rapprocher avec les autres associations, car avant c'était un peu la guerre permanente. Aujourd'hui, politiquement, les associations doivent être unies, car les associations de santé militantes sont rares. Par exemple, les associations de lutte contre le cancer : elles ne visent pas la transformation sociale, elles ne mettent pas les patients en avant. Ce sont des associations de « sachants ».
Je pense qu'il faut continuer dans cette logique. En 2009, il y a énormément de chantiers. Il faut réussir à faire reconnaitre la plus-value de la démarche communautaire, pour ne pas avoir à quémander auprès de l'État mais sécuriser le financement. Il faut aussi faire reconnaître le savoir profane, l'expérience de vie. Car actuellement, les grands dispositifs de l'État en matière de financement sont réservés aux professionnels. AIDES veut que la compétence de ses acteurs soit reconnue dans les textes.

Publié dans Questions de société

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Je précise que le débat sur ce sujet se fait sur l'article précédent (avec la vidéo) pour ne pas multiplier les lieux de débat sur un même sujet
Répondre
P
non, je ne suis pas de sciences-po... quelque chose ne va pas du tout à AIDES en ce moment et ils refusent d ele voir, persuadés qu'ils sont d'avoir raison, alors que le SNEG, Act-UP et Sida Info Service ont émis des messages d'alerte... AIDES est dans sa tour d'ivoire et c'est très inquiétant (leur comportement est parfois à la limite du sectarisme)
Répondre
V
@ Phil : Oui c'est un peu ce que je disais dans l'article de la vidéo; est-ce que quelqu'un a assisté à la conférence te peut nous en dire plus sur ce sujet ?
Répondre
P
Ce que je reproche à AIDES ce n'est pas de s'adresser aux barebackers et, plus largement, aux personnes qui ont du mal avec le préservatif, c'est de donner sur son site SERONET une très grande visibilité, extrêmement complaisante, envers les pratiques à risques, alors que le contenu d ece site est intégralement consultable par n'importe qui... ceci ne fait que brouiller son message : on ne peut aps dire à la fois qu'il faut utiliser le préservatif ET qu'en réduisant les risques on peut se passer du préservatif... c'est un non sens... un message de santé doit être binaire, simple et compréhensible de tous,s ans subtilités alambiquées... AIDES par son histoire est responsable de ce message et n'a pas le droit d'encourager de fait au relapse... en plus quand on veut en parler avec eux en tant que volontaire, on se heurte à un mur, un refus, comme s'ils n'assumaient pas cette nouvelle orientation... sur mon blog http://seropoannees2000.hautetfort.com/ je remet en cause très clairement cette nouvelle orientation, qui me semble très irresponsable
Répondre