Quand les pays en développement donnent des leçons de laïcité à la France
Le 21 décembre dernier, l’Assemblée législative du district fédéral de Mexico (Mexico D.F) votait à 39 voix contre 20 et 5 abstentions une réforme du Code civil et des procédures civiles du D.F en faveur du mariage des personnes du même sexe. Désormais, le mariage est défini en ces termes (c’est moi qui traduis) à l’article 146 du Code civil du D.F : « Le mariage est l’union libre de deux personnes en vue de réaliser la communauté de vie, où toutes deux se procurent du respect, l’égalité et l’entraide mutuelle. Il doit être célébré devant le juge du Registre civil »[1].
Cerise sur le gâteau : quelques heures plus tard, à la surprise générale, un second vote, à 31 voix contre 24 et 9 abstentions, est intervenu en faveur de l’adoption par les couples homosexuels[2].
Une semaine après, le lundi 28 décembre, c’est la chef de l’exécutif de la province argentine de la Terre de Feu qui crée la surprise en autorisant le mariage de deux militants de l’Institut national contre la discrimination (Inadi) porteurs du VIH, marquant ainsi la célébration du premier mariage homosexuel d’Amérique latine[3].
Pour avoir visité ou vécu dans ces pays, je mesure l’étendue du courage politique de ces hommes et de ces femmes qui ont décidé de voter ou d’autoriser ces avancées spectaculaires en faveur de l’égalité des droits. Certes, des actions et recours judiciaires vont tenter de contester la légalité ou la constitutionnalité de ces réformes. Certes, la structure fédérale de l’Argentine et du Mexique permet la coexistence au sein de ces pays de législations locales progressistes ou au contraires très conservatrices, notamment en ce qui concerne l’avortement.
Pourtant, je ne peux m’empêcher de saluer l’incroyable audace de ces réformateurs qui, dans des pays où l’Eglise catholique continue d’exercer une très forte influence, ont rendu possible le mariage de personnes du même sexe, au nom de l’égalité des droits entre tous les citoyens, au nom de la liberté, au nom de la diversité (et même, au Mexique, au nom de la laïcité).
En France, quand la droite cherche à stigmatiser les quelques 5 à 6 millions de personnes de confession musulmane qui y résident, quand elle cherche à attiser les peurs pour s’attirer les votes du Front national, elle brandit une pseudo laïcité comme étendard et fait sonner les trompettes de l’identité nationale.
Pourtant, on aimerait bien que la laïcité, ce principe fondamental de la République, anime de nouveau des initiatives progressistes. Pourquoi n’autorise-t-on pas le mariage homosexuel en France ?
La gauche a depuis le début été à la pointe de ce combat (semé d’embûches, comme il se doit) en faveur de l’égalité des droits. En 1990, Jean-Luc Mélanchon dépose une proposition de loi au Sénat « tendant à créer un partenariat civil ». En 1991, une nouvelle proposition visant à instaurer un « contrat d’union civile » est déposée, cette fois-ci par des députés socialistes. En 1998, après le retour de la gauche au pouvoir, c’est le Pacte civil de solidarité (PACS) qui fait l’objet d’un débat acharné sur les bancs de l’Assemblée, où l’on voit à cette occasion Christine Boutin prononcer un discours de 5 heures et brandir la Bible ( ! ) dans l’hémicycle, pour finalement être adopté un an plus tard, en octobre 1999. La gauche a obtenu le PACS, à défaut d’obtenir le mariage.
Désormais, il est temps de laïciser le mariage. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi, en France – alors que la séparation des Eglises et de l’Etat fait loi depuis 1905, que la laïcité est un principe à valeur constitutionnelle et que l’Etat a le monopole des effets juridiques du mariage[4] –, l’institution du mariage continue de véhiculer des valeurs morales et religieuses étrangères à l’esprit républicain, qui empêchent de reconnaître à l’ensemble des citoyens, quel que soit leur sexe et celui de leur conjoint, le droit fondamental de se marier. Et qui pourrait aujourd’hui défendre que le mariage doit être réservé à un homme et à une femme au nom de l’ordre de public, à l’heure où les familles recomposées et les couples divorcés ou en concubinage se multiplient ? Quel risque y-a-t-il à reconnaître ce droit aux homosexuels ?
Non, décidément, ces arguments ne tiennent pas.
[1] L’opposition à la réforme votée par le Parti de la révolution démocratique et le Parti du travail a toutefois annoncé qu’elle demanderait au chef du Gouvernement local d’y opposer son veto. En cas de refus, elle entend présenter un recours d’inconstitutionnalité devant la Court suprême de Justice. Les premiers mariages devraient cependant pouvoir être célébrés dès le mois de février, à l’expiration du délai légal de 40 jours à compter de la publication au Journal officiel.
[2] L’Uruguay est le premier pays d’Amérique latine à avoir légalisé, en septembre dernier, l’adoption par des couples homosexuels. Au total, aujourd’hui, seuls les Pays-Bas, la Suède, l’Espagne, l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Islande, la Belgique, la Norvège, l’Afrique du Sud, Israël, l’Uruguay ainsi que 14 états (dont New York et la Californie) des Etats-Unis, deux états australiens (Canberra et Western Australia) et le district fédéral de Mexico l’autorisent.
[3] Jusqu’à présent, seules les unions civiles étaient autorisées dans certaines provinces (Mexico D.F, Buenos Aires) ou certains pays (Colombie, Uruguay) d’Amérique latine.
[4] En d’autres termes, point de mariage religieux possible s’il n’est pas procédé à un mariage civil auparavant, sous peine de poursuites pénales.