Socialisons les profits !
De la relance, encore de la relance, toujours de la relance… Les slogans finissent par en faire oublier le principal : Pourquoi relancer un système qui a failli, sans chercher a le réparer avant ? A quoi bon remettre du carburant dans une voiture qui n’aurait plus de volant ?
Le système capitaliste fonctionne sur l’idée que celui qui prend, par son esprit d’initiative, un risque se voit récompensé. En retour de ce risque, l’individu obtient le droit de disposer librement du profit (ou de la perte) découlant de cette prise de risque. Ceci constitue le pilier de la société capitaliste, et sa principale rupture par rapport aux sociétés traditionnelles, au sein desquelles chaque profit (ou perte) est partagé et réparti auprès des différents membres de la collectivité.
Ce à quoi nous assistons en cette période de crise économique ressemble fortement à l’arnaque du siècle, à la plus grande distorsion du système capitaliste depuis son invention. Depuis la mise en place des premiers systèmes de protection sociale, la brutalité du système capitaliste avait été atténuée. Par rapport au principe fondateur énoncé précédemment, l’individu n’est plus le seul à assumer une perte ou à bénéficier de son profit. La société prend en charge la perte qu’un chef d’entreprise subi en mettant en faillite son entreprise, prend en charge le chômeur qui vient de perdre son emploi, etc. Pour financer cette socialisation des pertes, les profits ont dû eux aussi être en partie socialisés. Un individu qui gagne un héritage devra payer des droits de succession, un entrepreneur qui fait des bénéfices devra payer un impôt sur les sociétés, etc.
C’est ce qu’on avait appelé le « modèle social-démocrate », ou « modèle fordiste » au cours des années 1950-1970.
La machine s’enraye toutefois avec la crise économique des années 1980, ou l’on assiste à un retour de la privatisation des pertes et des profits. Dans le sillage de Reagan et de Thatcher, les profits sont à nouveau privatisés. L’impôt sur le revenu est baissé, les droits de succession aussi. De leur côté, pour équilibrer le système, les pertes sont elles aussi privatisées, avec le démantèlement de certains services sociaux, au profit d’assurances privées. Le chômeur est indemnisé plus chichement, les soins médicaux sont remboursés partiellement, les bourses d’études sont dévolues à des fondations privées, etc…
Mais aujourd’hui, après des années de privatisation croissante des profits, après des décennies de réduction au maximum des services sociaux au profit des assurances privées, les gagnants d’hier demandent l’argent de l’Etat. Aujourd’hui, on continue de privatiser les profits, mais on socialise les pertes. Le patron du CAC 40 a refusé de redistribuer une part de ses profits faramineux au contribuable pendant les folles années de croissance mais exige désormais du contribuable qu’il paye pour ses pertes et pour ses erreurs.
C’est ainsi que l’Etat avait fourni 5 milliards d’argent du contribuable aux banques en difficulté le 27 octobre dernier et qu’il s’apprête à sucrer un peu plus l’addition avec une dizaine de milliards supplémentaires. Aux Etats Unis, c’est 200 milliards qui ont été injectés dans le secteur bancaire dans le cadre du Capital Purchase Program (CPP).
Cette socialisation des pertes crée à la fois une injustice et une incohérence.
Une injustice en effet, puisque si l’on doit revenir à un système de socialisation des pertes, pourquoi ne socialiser que les pertes des banquiers, des entreprises automobiles, et laisser sur le carreau les chômeurs, les smicards ?
Une incohérence enfin car cette socialisation des pertes devrait s’accompagner d’une socialisation des profits pour rendre cohérent le système.
Pour rétablir la logique du système, on pourrait estimer qu’il ne faut pas toucher à la privatisation des profits et au contraire privatiser les pertes pour tout le monde, autrement dit laisser les banques et les entreprises faire faillite. Cette solution est prônée par certains économistes ultralibéraux, qui proposent que l’on fasse jouer la loi du marché, en attendant que celui-ci se rééquilibre de lui-même. Ces derniers affirment que les plans de soutien aux banques, les subventions aux entreprises sont inefficaces et irresponsables, dans la mesure où ils poussent les acteurs à prendre plus de risques, dans la mesure où ces derniers savent qu’ils verront leurs pertes assumées par les Etats en dernier recours, selon la logique du « too big to fail ». Logiquement, cette solution tient la route mais socialement elle est une dangereuse illusion, sachant qu’une perte n’est jamais purement privée. Le chômage et la dépression économique qu’entraîneraient les faillites des établissements financiers toucheraient en effet l’ensemble la société et ne se limiterait pas aux seuls banquiers.
Si cette solution est socialement inacceptable, on peut en revanche exiger que les profits soient un peu mieux répartis, un peu plus socialisés. Tout en continuant à socialiser les pertes, aider les banques et les entreprises en difficulté, on peut considérer qu’il faut socialiser les profits. Le climat de crise économique pourrait nous faire croire que taxer les rares profits équivaudrait à tuer tout espoir de relance et à décourager les entreprises. C’est cette crainte qui a conduit les Etats-Unis à proposer une réduction d’impôts de 400 dollars par ménage américain et qui pousse le président Sarkozy à envisager une suppression de la taxe professionnelle et une nouvelle réduction de l’impôt sur le revenu. Hélas cette crainte, bien entretenue par les milieux d’affaire et les partisans du « tout marché », est infondée.
Alors que l’économie mondiale traverse la pire crise depuis un demi-siècle, les profits existent. Une catégorie d’initiés des marchés continue de prospérer et de dégager des bénéfices colossaux. Les bonus versés aux traders de Natixis (90 millions d’euros) et le parachute doré du PDG de Valeo sont là pour nous rappeler que tout le monde ne perd pas de l’argent. Pour ceux que ces exemples ne convaincraient pas ou qui les qualifieraient de « démagos », je leur conseille un rapport de JP Morgan publié le 2 janvier dernier, qui effectuait un rappel historique en affirmant que, sur 5 des 8 périodes de l’histoire américaine au cours desquelles la part des consommateurs dans le PIB américain avait baissé, le Dow Jones avait obtenu des gains de 15 à 20% en moyenne (traduction : quand les consommateurs trépassent, les profits boursiers s’amassent).
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus par l’analyse économique, je les renverrais aux propos tenus par le Chief Executive du Institutional Clients Department de Citi, qui avait qualifie les deux premiers mois de l’année de « sacrement intenses » pour les activités de la banque d’affaires. Le PDG de JP Morgan était lui aussi monté au créneau le 23 février dernier pour affirmer que la banque s’orientait vers un « premier trimestre solide » (traduction : on va s’en mettre plein les fouilles). Enfin, pour ceux qui préféreraient les chiffres aux paroles, je ne peux que rappeler les bénéfices de Total (13,9 milliards d’euros) et de GDF (6.5 milliards d’euros, en hausse de 13%).
La question n’est donc plus de savoir s’il ya des profits à socialiser, mais comment les socialiser intelligemment, sans décourager les chefs d’entreprise méritants (si si, ca existe).
Le seul moyen d’intervention que l’Etat a en son pouvoir pour socialiser intelligemment les profits reste la fiscalité. Alors que le gouvernement Fillon refuse obstinément d’envisager toute augmentation des impôts ou toute révision du paquet fiscal, le PS doit proposer un nouveau système de valeurs aux marchés, où l’excellence sociale et environnementale doit remplacer la recherche du profit dans la hiérarchie des valeurs de l’entreprise.
Le PS doit se battre pour la réinstauration du principe constitutionnel de progressivité de l’impôt, notamment de l’impôt sur le revenu, qui doit être étendu et débarrassé des niches fiscales. Le PS doit aussi développer de nouveaux modes de taxation alternatives, comme la taxe carbone, qui permettraient d’inclure le coût environnemental et social dans le prix des produits, sans pour autant décourager l’activité économique. Mais plus que tout, les socialistes doivent soutenir la mise en place d’un impôt d’un genre nouveau, une « taxe sur la valeur sociale soustraite » ou « bonus malus social » (voir article suivant).
Nicolas B.