Du G20 au monde d’après…
Le 2 avril dernier s’est tenu à Londres le deuxième sommet des vingt plus grandes puissances économiques mondiales, représentant 90% des richesses globales. Vous n’aurez sans doute pas échappé à la large couverture médiatique de l’événement, présenté à juste titre comme crucial. Vous aurez peut-être aussi retrouvé un peu de confiance en ces temps de pessimisme où l’horizon semble s’assombrir de jour en jour. Effectivement, l’accord conclu est historique. Sur bien des questions, il va plus loin que ce que chacun s’autorisait à imaginer.
Les médias nous annonçaient un affrontement terrible entre les irréconciliables Américains et Européens, arbitré par les redoutables pays émergents menés par les imprévisibles Russes et Chinois. Les premiers voulaient dépenser toujours plus sans reconnaître que reconduire les règles qui ont causé la crise correspondait à jeter l’argent par les fenêtres. Les seconds voulaient profiter de l’occasion pour pointer du doigt les paradis fiscaux où s’évaporent chaque année 10 000 milliards de dollars, sans pour autant menacer encore un peu plus leurs finances publiques agonisantes. Les derniers comptaient affirmer leur prise de pouvoir dans le nouvel équilibre international, allant jusqu’à remettre en cause la suprématie du dollar américain.
L’affrontement a été surmonté, chacun a fait un effort. Tout le monde est content, les sourires font la une des quotidiens du monde entier, les cours boursiers remontent durant quelques jours. Mission accomplie. Réjouissons-nous, les annonces sont à la hauteur : 5 000 milliards de dollars de relance injectés d’ici fin 2010, le triplement des moyens du FMI, le soutien aux échanges pour décourager le protectionnisme, la pression renouvelée contre les hauts revenus et les paradis fiscaux, et la décision de se retrouver dans six mois pour faire le point à New York. On peut critiquer la théâtralisation de l’événement, il est difficile de soutenir qu’il n’y a pas eu d’avancées sur le fond.
Un nouveau départ ? Non, un second souffle…
Pourtant ces avancées ne sont pas suffisantes pour amorcer les changements nécessaires de l'économie internationales. Quelle était la mission du G20 ? Relancer une machine à bout de souffle. Quelle aurait du être sa mission ? Concevoir l’économie du monde de demain, un monde où les Etats-Unis seront moins hégémoniques, où les pays émergents affirmeront parfois leurs divergences, où les questions des ressources et de la sauvegarde de l'environnement déclencheront de nouvelles crises économiques, sociales, politiques et humanitaires. À ce titre, on peut analyser le G20 comme la victoire des tenants du système précédent… Ceux qui ont tout intérêt à ce que le beau temps revienne à Wall Street pour que le jeu recommence. Aucune rupture profonde n’a été amorcée, le jeu s’enrichit juste de quelques règles supplémentaires. Ces nouvelles règles sont d’ailleurs très vagues pour le moment, et il faudra attendre de voir leur mise en œuvre pour juger de leur caractère contraignant. Quant aux paradis fiscaux, la liste existait déjà, les quatre intrus sur la liste noire se sont vite déplacés vers la liste « grise » (la vraie liste noire ?) qui n’a qu’une valeur symbolique. C’est le triomphe de l’autorégulation par l’éthique présupposée de ceux qui ont montré combien ils en avaient avant et pendant la crise !
On guérit après coup, mais on ne prévient pas. Les crises font partie intégrante du fonctionnement cyclique de la vie économique. Or, le G20 s’est concentré uniquement sur les conséquences de la crise (économie mondiale à l’arrêt, manque de moyens des institutions internationales pour la relance). Mais les dirigeants de notre monde se sont trop peu penchés sur les causes initiales de la crise, c’est-à-dire l’endettement des ménages américains et tous les éléments de la doctrine du "laisser-faire" qui ont conduit aux subprimes et à l’explosion de la bulle immobilière américaine. La lecture du livre de Matthieu Pigasse et Gilles Finchelstein, Le monde d’après, une crise sans précédent, est éclairante à ce sujet.
Nous sommes passés très proche de la faillite totale du système. Comprendre pourquoi et comment nous replonge deux décennies en arrière, après la crise financière de 1987. Le choix est fait par l’administration américaine et la Fed d’Alan Greenspan d’une relance par la consommation, non pas en augmentant les salaires mais en facilitant l’endettement privé. Les taux directeurs baissent inexorablement, les banques prêtent, les ménages s’endettent, l’économie tourne à plein régime. L’argent est disponible pour tout le monde, même ceux qui n’affichent pas les garanties de solvabilité nécessaires. Ces créances à risque sont fractionnées, réparties par le mécanisme de titrisation au sein d’actifs complexes et vendues sur les marchés financiers. Les subprimes « contaminent » les places du monde entier, les agents s’assurent face aux risques, les systèmes de notation et de contrôle n’y voient que du feu, la machine infernale tourne en roue libre, car les rémunérations sont fortes. Le risque rapporte, ou plutôt l’aveuglement face au risque : les marchés se sont assurés à grande échelle et les acteurs ne prennent finalement aucun risque personnel car leurs profits et la rentabilité boursière recherchée à plus de 15 ou 20% échappent à la réalité économique. Le système de la spéculation et de l'argent roi prospère sans réelle responsabilité. Le cercle vertueux s’arrête brutalement quand la bulle immobilière américaine éclate, on connaît la suite. Face au chaos de la crise, les réactions étatiques sont souvent rapides (les fameux 360 milliards d’euros de prêts trouvés en une nuit pour éviter la faillite totale), parfois coordonnées (mais beaucoup trop peu par défense des intérêts nationaux !). Les Etats s’endettent là où ils le peuvent encore.
Les deux dangers sont là : dette privée et dette publique. Le G20 n’en a tout simplement pas parlé. Les paradis fiscaux et les hedge funds ne sont rien à côté. Pire encore, la relance passe nécessairement par de l’endettement ! L’argent prêté par les Etats aux banques permet aux entreprises d'investir et aux ménages de consommer. Pour cela les Etats se mettent plus ou moins en danger. La faillite d’un Etat semble impossible à beaucoup de citoyens, et pourtant l’Argentine a connu cette situation en 2001 : incapable de rembourser ses dettes ou leurs intérêts, le pays se déclare en faillite et le FMI intervient.
Des solutions existent pourtant. Le livre de MM. Pigasse et Finchelstein en avancent plusieurs, plus ou moins audacieuses. Restructurer les dettes en premier lieu. Relancer par des prêts à 0%. Réglementer les marchés financiers. Accepter une régulation supranationale de l’économie internationale, ar l'augmentation du budget et de l'intervention du FMI. Mieux protéger nos entreprises par zone géographique pertinente face aux tentatives de rachat à bas prix par des fonds souverains des pays émergents. Remettre en cause la suprématie du dollar, et créer une monnaie de référence internationale, vieux rêve de Keynes brisé à Bretton Woods. Changer notre mode de financement de la consommation et repenser le fonctionnement des entreprises et de la fiscalité pour revoir le partage initial des richesses produites par la hausse des salaires plutôt que par la seule redistribution a posteriori par l’impôt. Enfin promouvoir encore et toujours l’intégration européenne, avec à moins terme le doublement du budget européen, l'entrée du Royaume-Uni dans la zone euro, voire même la fusion des dattes publiques française et allemande, pour qu’à l’avenir nous agissions de concert afin d'être plus efficaces.
Si toutes ces questions n’ont pas été abordées ou, dans le meilleur des cas, pas tranchées à Londres, c’est aussi parce que nous, socialistes et sociaux-démocrates européens, avons été incapables d’imposer notre voix lors du G20. Apporter le débat à notre niveau était l'objectif de notre série d'articles. Il reste de nombreuses réformes à réaliser pour construire un autre modèle économique plus solidaire, plus multipolaire, plus respectueux de l’environnement et donc plus stable lors du retour de la croissance et face aux futures crises.
Val