Ne nous y Fillon pas : le gouvernement et la grande braderie de l’éducation nationale
Nous savions que le Président de la République et le secrétaire général de l'Elysée avaient toute autorité sur le Premier ministre. Nous savons désormais que le Premier ministre n’a même aucune autorité sur les membres de son « gouvernement ». Cela explique sans doute pourquoi François Fillon prône aujourd'hui la disparition de sa propre fonction.
De fait, nous entendions mardi soir François Fillon revenir sur les propos de son Ministre Xavier Darcos en expliquant que l’estimation de « 10 000 suppressions d’emplois » dans l’Education Nationale avancée par le Ministre en charge du dossier n’était qu’un « ordre de grandeur ». Le lendemain, un autre Ministre, déjà coutumier des bourdes (rappelons-nous l’affaire du remboursement des intérêts immobiliers), M. Woerth, déclarait qu’il ne s’agissait non pas de 10 000 mais de 17 000 suppressions d’emplois dans le domaine éducatif.
Promettre plus pour... promettre plus
Dans un temps immémoriel, Nicolas Sarkozy déclarait « j’ai été élu pour faire ce que j’ai dit que je ferai ». Rappelons donc les engagements pris par l’actuel Président de la République, encore relayés par son super directeur de cabinet lors de son discours de répétition générale :
1. Le droit opposable pour tout enfant handicapé à accéder à un établissement scolaire. Rappelons-nous ce passage du débat opposant Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Rappelons également que le plan Handiscol mis en place par Ségolène Royal et la loi de 2005 prévoient de mettre en œuvre des moyens ambitieux pour arriver à cet objectif. Nous en sommes encore très loin. A moyen constant, il est impossible de mettre en œuvre ce droit opposable. Il semble donc que nous allons avoir encore plus de « saines colères », de la part des parents de ces enfants cette fois-ci, puisque avec ces 17 000 suppressions d’emplois, ce serait donc essentiellement les assistants de vie scolaire, indispensables à l’accueil des handicapés dans les écoles, qui seraient concernés ;
2. Le développement de la pratique du sport dans les établissements scolaires. Selon le projet de l’UMP, il s’agirait a minima d’une heure supplémentaire d’EPS par semaine. Si on établit un calcul rapide, cela correspond à 12 millions d’heures annuelles, soit à la création de 17 000 postes nouveaux d’enseignants en EPS. Exactement le nombre de postes a priori supprimés. Soit cette promesse, encore répétée le 12 juin dernier à Nice par le vrai Ministre de l'Education, à savoir Nicolas Sarkozy, est abadonnée, soit les annonces faites sont mensongères ;
3. L’abaissement du nombre d’élèves par classe (rappelons que le programme du PS évoque le chiffre de 17 élèves par classe) dans les ZEP a été rappelé hier par Fillon. Evidemment, cela exigera des créations de nouveaux postes, a minima estimés à 5000. 17 000 (EPS) + 5000 = 22 000 postes en plus. Encore une fois, comment pourrait-on envisager d'entreprendre cela à moyens constants et surtout sans déséquilibrer les autres établissements ne se trouvant pas en ZEP ? ;
4. La développement du soutien scolaire gratuit pendant deux heures chaque soir, d’ici la rentrée de 2008 pour les collégiens, dans la totalité de l’enseignement scolaire d’ici la rentrée de 2011. Ce soutien serait assuré, je cite, par « des professeurs volontaires ou des assistants de vie scolaire ». Pour l’instant, aucun détail chiffré à ce sujet mais si cela doit se mettre en œuvre dans toutes les institutions, ce dont nous nous félicitons (cela était contenu dans le programme de Ségolène Royal), cela aurait un coût, matériel bien sûr mais aussi en termes de ressources humaines.
Cours de finances publiques nécessaires pour tout le gouvernement !
Alors bien sûr, nous voyons venir immédiatement l’argument du gouvernement. L’abaissement du nombre d’élèves dans l’enseignement scolaire (très relatif) justifierait la suppression de certains postes et quelques redéploiements. Ajoutons par ailleurs que le Président de la République s’est engagé à ce que les suppressions d’emplois ne concernent pas les professeurs.
On peut donc imaginer, dans un grand délire sarkozyste, que sans créer de postes, on octroie des heures supplémentaires à chaque professeur. Au vu des mesures avancées, ce serait près de dix heures supplémentaires à distribuer à chaque professeur. Rappelons que ces heures supplémentaires sont rémunérées 25% de plus que le taux de rémunération "normale". En tenant compte du fait que cela concernera également les professeurs les mieux rémunérés (fin de carrière, agrégés…), on imagine donc le coût budgétaire. Par ailleurs, avec les nouvelles dispositions mises en œuvre (défiscalisation, absence de charges sociales), on imagine leur impact sur les finances de l’Etat mais aussi sur le financement de la protection sociale, déjà bien mal en point.
Ensuite, si l’on n’intervient pas sur le nombre de professeurs, il faut donc bien trouver ces 17 000 suppressions de postes. Il s’agirait donc de quoi ? D’assistants de vie scolaire, d’infirmières scolaires, de CPE (pas de mauvaise blague… on évoque ici les Conseillers Principaux d’Education) ? Il nous semble pourtant que le droit opposable pour tout enfant handicapé comme le soutien scolaire nécessitent au moins à eux deux des créations importantes de postes. Quant au droit opposable, on a compris, de toute façon, les citoyens ne pourront plus attaquer l'Etat en justice... ou tout au moins ils en seront découragés, quand le moindre tribunal administratif se trouvera à 300 km de chez eux. Ah, quel beau projet gouvernemental cohérent...
Ces quelques exemples témoignent de l’incurie totale de ce gouvernement, quelques semaines seulement après sa nomination. Ne souhaitant pas avoir de véritables poids politiques qui lui feraient de l’ombre dans ce gouvernement, Nicolas Sarkozy a fait le choix de ces volte-faces permanentes, alors qu’une fois de plus « tout était prêt ». L’éducation est pourtant le sujet au cœur des réformes qui devraient guider l’action gouvernementale. Les premiers pas du gouvernement dans le domaine éducatif témoignent des réflexes comptables, de la gestion boutiquière qu’il compte entreprendre de ce sujet d’importance cruciale. Le pire étant qu’en ayant les désavantages colossaux d’une telle politique bêtement de droite, on ne bénéficie pas de ses « avantages » supposés. Autrement dit, au même moment où ce sujet éducatif est laissé à l’abandon, la Ministre des Finances déclare sans gêne que la France fera « un peu de déficit » et que l’objectif du désendettement fixé à 2010 est reporté à 2012. La droite est donc définitivement décomplexée. Elle ne s’embarrasse plus de sa présupposée « bonne gestion » des finances publiques (au demeurant totalement contestable) pour sabrer dans le service public. Elle assume tout simplement le faire pour financer des cadeaux fiscaux inefficaces économiquement et les petits joujoux du Président, comme un parc de vidéo-surveillance par exemple qu’il envie tant à Tony Blair.
Face à cela, la priorité du PS à faire de l’éducation le sujet fondamental de sa refondation apparaît de plus en plus primordiale. Rythmes scolaires, discussions sur la carte scolaire, réarticulation entre enseignements général et professionnel. Tout doit être mis sur la table. Un billet très prochainement à ce sujet.