Les collectivités territoriales bientôt au régime sec, la péréquation menacée
Alors que la précédente législature a été caractérisée par une compensation financière très insuffisante des transferts de compétences de la loi « libertés et responsabilités locales » du 13 août 2004 et l’apparition de difficultés évidentes pour les collectivités territoriales, le mandat de Nicolas Sarkozy s’annonce également de mauvaise augure pour la décentralisation au vu des contrats de projets à venir et des arbitrages budgétaires préalables à l'élaboration du budget 2008. L’occasion d’une réflexion sur la maîtrise des dépenses publiques locales…
Des ambitions étriquées
Nous avions déjà eu l’occasion de souligner la vacuité du projet de l’UMP en matière de décentralisation. Mise à part une clarification salutaire de la répartition des compétences, aucune proposition ambitieuse en matière de démocratie locale, de fiscalité ou de solidarité ne figurait dans le projet de Nicolas Sarkozy.
La lettre de mission adressée à la nouvelle titulaire du portefeuille, la truculente MAM, confirme cette volonté de faire une pause dans la décentralisation. Seuls deux projets semblent y figurer : une réforme visant à clarifier la répartition des compétences et une réévaluation de la valeur locative (qui sert de base au calcul de la taxe d’habitation et qui n’a pas été réévaluée depuis 1970 malgré une tentative en 1990) qui serait opérée non sur le stock des logements existants mais sur les « flux » de logements échangés sur le marché immobilier. Concrètement, cette valeur serait actualisée lorsqu’un logement changerait de mains. Une mesure intelligente qui irait dans le bon sens mais qui intervient trop tardivement alors que la bulle immobilière et le nombre très élevé de transactions qui l’ont accompagné auraient constitué une réelle opportunité d’engager une telle réforme. Deux projets opportuns que le PS aura à cœur de suivre avec attention et vigilance dans leur mise en œuvre.
Sur le reste, rien. Ou plutôt aucune réponse aux défauts de l’acte II. Aucune avancée sur la démocratie locale qui continue de souffrir de ses archaïsmes.
Des menaces sur la péréquation et l’aménagement du territoire
En ce qui concerne la solidarité territoriale, la politique à venir est même de nature à susciter l’inquiétude. Les contrats de projets, successeurs des contrats de plan Etat-régions qui jouent un rôle central dans les politiques d’investissement et d’aménagement du territoire des collectivités, traduisent un recul très important de l’effort de l’Etat.
Concoctés sous la précédente législature par Christian Estrosi, ces contrats seront mis en œuvre dans les années qui viennent. Or en réduisant l’intervention de l’Etat, ils risquent de remettre en cause la politique d’aménagement du territoire ou, plus précisément, de substituer à l’esprit d’une politique fondée sur la notion d’équité un critère de compétitivité peu favorable aux territoires isolés ou fragilisés.
Le désengagement de l’Etat n’est pas une donnée tout à fait nouvelle mais le fait est qu’il était jusqu’alors contrebalancé par une politique d’investissement dynamique des collectivités territoriales dont le rythme de progression était supérieur à la croissance du PIB.
Or un changement majeur à venir, passé presque inaperçu lors des arbitrages budgétaires préliminaires du gouvernement, risque de compromettre sérieusement cette possibilité : la fin du « contrat de croissance ».
La fin du "contrat de croissance"
Qu’est-ce que ce « contrat de croissance » ? Le contrat de croissance regroupe un ensemble de dotations versées de façon régulière par l’Etat aux collectivités dans une sorte "d’enveloppe". Cette enveloppe est dite « normée » car elle est soumise à un taux de progression annuel dont le mode de calcul est fixé par l’Etat sur une période de plusieurs années. Il s’agit donc d’une enveloppe pluriannuelle qui compte pour beaucoup dans les ressources des collectivités aux côtés de la fiscalité et de l’endettement (pour les dépenses d’investissement uniquement pour ce dernier). Elle représente environ 50 milliards d'euros de ressources pour les collectivités.
Le taux de croissance de ce "paquet de dotations" est indexé depuis 1999 sur le taux d’inflation majoré d’une fraction du taux de croissance. Cette indexation favorable aux collectivités leur a permis d’engager de nombreux investissements et de renforcer l’effort de péréquation.
Pourquoi la péréquation ? Une grande partie de ces dotations (comme la DGF qui constitue l'essentiel de cette enveloppe), outre les dotations de péréquation spécifiques, sont calculées de façon à prendre en compte en partie la « richesse » des collectivités à travers leur potentiel fiscal. Elles comportent donc un effet redistributif au profit des collectivités les plus pauvres. Inutile de préciser que plus elles progressent, plus la redistribution est forte.
Grâce au contrat de croissance et à l’effort consenti par l’Etat sous l’impulsion du gouvernement Jospin, l’enveloppe normée à eu un effet redistributif reconnu. Ce « contrat » a été prolongé d'un an pour sursis préélectoral par le gouvernement Villepin jusqu’en 2007. Cependant, avec la reconduction de l’UMP au pouvoir, personne n’est dupe aujourd’hui sur les menaces qui pèsent sur lui.
Et au vu des arbitrages du nouveau gouvernement, ce ne sont plus seulement des menaces. Une indexation stricte sur les prévisions d’inflation a été retenue il y a quelques jours par le gouvernement Fillon comme l'avait annoncée le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, soit une progression de 1,6% pour 2008. C’est donc la fin du contrat de croissance. En l’absence de coup de pouce significatif, l’effort d’investissement local risque donc de connaître un ralentissement et la solidarité territoriale d’être fragilisée.
La solidarité est donc remise en cause par les deux « bouts » : par le biais de l’indexation de l’enveloppe normée et par le biais des contrats de projets.
L’influence croissante de dogmes d’inspiration néolibérale
Cette « rupture » semble répondre davantage à une préoccupation d’inspiration néolibérale quant à l’évolution des dépenses locales. Depuis plusieurs années, le recul de l’Etat est compensé par des politiques volontaristes menées par les collectivités. Voyant d’un mauvais œil le dynamisme de ces dépenses, d’aucuns suggèrent, à l’image du Pacte de stabilité ou plus exactement de l'ONDAM pour les dépenses de santé, de fixer une norme de dépenses pour les collectivités territoriales. Cette réponse très technocratique méconnaît pourtant le principe de libre administration. D’autres, plus sournoisement, comme l’Institut de l’Entreprise, dans un rapport teinté d’arrière-pensées idéologiques, suggèrent de mettre un frein aux dotations pour limiter les marges de manœuvre des collectivités. Cette solution conduirait les collectivités dépensières à s’endetter ou à augmenter la pression fiscale, les plaçant ainsi au pied du mur (électoral). Il y aurait, selon une terminologie très chère aux tenants de ce discours, un « aléa moral » pour les collectivités dépensières : se finançant par dotations, les collectivités ne supporteraient pas en totalité et directement devant leurs électeurs la responsabilité du coût de leurs politiques. Il y aurait donc un « biais dépensier » : les collectivités seraient incitées à dépenser sans compter, ce qui expliquerait le rythme particulièrement dynamique de progression de leurs dépenses.
C’est ici que le néolibéralisme rencontre le jacobinisme dans la méfiance à l’égard des élus locaux : le premier par présomption d’irresponsabilité économique du politique en général et de « biais électoraliste » ; le second, par méfiance à l’égard des pouvoirs locaux.
Si la volonté d’une maîtrise des dépenses publiques locales est à l’origine – sans doute – du coup de frein que veut donner le gouvernement à la progression des dotations, d’autres pistes sont envisageables pour la gauche afin de mieux contrôler les éventuels abus.
Pour un renforcement du contrôle démocratique local et du contrôle déconcentré
Si le dynamisme des dépenses des collectivités doit être relativisé au regard du désengagement de l’Etat (un des moins dépensier des pays de l’OCDE pour une structure comparable d’Etat unitaire avec des dépenses qui représentent 18% du PIB), des excès peuvent être constatés et doivent être combattus.
Comment ? Sans doute pas par des normes générales et contraignantes dont l’effectivité et le respect sont loin d’être assurés (à l’image du Pacte de stabilité et à plus forte raison de l'ONDAM).
Avec un peu d’idéalisme sans doute est-il possible de développer un véritable contrôle démocratique local en dotant l’opposition dans les collectivités de moyens de contrôle et d’expertise accrus. Il ne s’agit pas moins que de faire confiance à l'expression du suffrage universel.
Cependant, compte tenu des archaïsmes de la démocratie locale, des réformes profondes sont à envisager préalablement, réformes dont nous avions eu l'occasion d'esquisser les contours dans notre contribution au Projet socialiste en juin 2006.
Ce contrôle politique complèterait bien entendu le contrôle de légalité interne et externe opéré par le préfet et les chambres régionales des comptes (CRC) et s'articulerait avec lui. Dans tous les cas, la gauche doit préférer aux thérapies de choc la confiance dans le rôle que doit pourvoir jouer une démocratie locale renouvelée.