Les multiples casquettes de Laurence Parisot : présidente du MEDEF, rockstar, prof d'éco et candidate à la présidentielle...
I. La grande parade Ø « L’entreprise m’a tout donné »
L’AG s’ouvre sur le témoignage de chefs d’entreprises dévots qui font état de leur adoration pour « l’entreprise qui m’a tout donné ». Ainsi, le président de la chambre de commerce de Rhône-Alpes décrit-il sa vision de l’entreprise, lieu de l’ascension sociale : comment de petit employé, on devient employeur : « l’homme est libre grâce à la libre entreprise ». Les métaphores laudatives manquent pour décrire l’entreprise : « source de vie », « poumon de la nation », « l’entreprise, c’est la vie ; la vie c’est l’entreprise »…Mais le principe fondamental, c’est que : « quand l’entreprise va bien, la société va mieux ».
Ø Le génie des entrepreneurs français Les entrepreneurs français sont des êtres exceptionnels. Sept d’entre eux sont invités à présenter leur activité. Ils sont ambitieux et ouverts sur le monde et, en plus, ils sont solidaires : Total apporte ainsi un appui à des PME pour développer leurs activités à l’étranger. Leurs entreprises sont à l’image des entreprises françaises : innovantes, en forte croissance, investissant fortement dans la recherche, très compétitives à l’exportation et produisant exclusivement de la haute qualité. Le directeur d’Alter Eco vient même expliquer comment les entreprises sont à la pointe du développement durable.
Ceci contredit en filigrane les discours sur l’asphyxie des entreprises françaises, le fameux carcan fiscalo-administratif n’empêche visiblement pas certaines de se développer.
Ø Le MEDEF, c’est formidable Depuis l’arrivée de Laurence Parisot à sa tête, le MEDEF a décidé de renforcer son ancrage dans la société. Pour ce faire, deux nouvelles commissions ont été crées.
La commission « nouvelles générations » a pour objectif de nouer le dialogue entre l’entreprise et les jeunes afin de favoriser leur insertion. Cette commission est présidée par Laurence Danon, PDG du Printemps et auteur d’une charte des stages en entreprise proprement révolutionnaire. Celle-ci affirme grosso modo que le stage doit être utile à la fois au jeune et à l’employeur.
Cathy Kopp, DRH d’Accor, trouve tout cela « absolument formidable » et ce n’est pas Vanessa, 22 ans, en contrat de professionnalisation, ni son patron qui va la démentir. Celui-ci apprécie beaucoup cette opportunité de pouvoir « inculquer des choses » aux jeunes. Enfin, sont mises en avant des expériences d’entrepreneurs qui mettent un point d’honneur à embaucher des jeunes « issus de la diversité ». Et, oh surprise, on se rend compte qu’ils travaillent aussi bien que les autres…
La commission « dialogue économique », présidée par Véronique Morali, accomplit un travail plus formidable encore : établir des passerelles entre les entreprises et le reste de la société. Comme le dépeint bucoliquement le président du MEDEF Nord-Pas-de-Calais, la société, c’est comme un aquarium avec des petits poissons et des gros poissons, de toutes les couleurs. Le MEDEF est là pour veiller à la qualité de l’eau (et peut-être aussi pour être sûr qu’aucun poisson n’ait l’idée de sortir de l’aquarium). En acteur social responsable, le MEDEF dialogue avec tout le monde : enseignants, universités, étudiants, politiques, magistrats, journalistes, etc, l’objectif étant de convaincre ces pauvres gens aveuglés par les stéréotypes des vertus incontestables de l’économie capitaliste et des bienfaits procurés gracieusement à la société par des entrepreneurs emplis d’abnégation.
Gaby Bonnand, secrétaire national de
Ø Pourquoi adhérer au MEDEF ?
Mais pourquoi plus de 700 000 entreprises sont-elles adhérentes du MEDEF ? On se le demande. Comme à l’UMP, c’est l’heure de l’adoubement des nouveaux adhérents. De l’éleveuse de taureaux de combat à la jeune directrice ambitieuse d’une agence de communication, ils ont rejoint le MEDEF parce qu’ils apprécient son travail de lobbying efficace, qu’ils se reconnaissent dans les valeurs qu’il défend, qu’ils veulent participer à la gestion paritaire ou encore tout simplement, comme le résume le président du MEDEF Côte-d’Or, parce qu’ « ils aiment l’économie de marché ».
Ø Petite leçon d’économie
Puis est arrivé le moment le plus surréaliste de l’AG : Laurence Parisot, seule en scène, donnant une leçon d’économie aux Français. L’objectif est de montrer que le déficit de croissance tient exclusivement au poids excessif des charges pesant sur les entreprises. Pour y arriver, elle n’hésite pas à manipuler allégrement chiffres et graphiques : comparaison de taux d’imposition sur des bases différentes, déformation de l’étude de l’OCDE sur l’impact des législations protectrices de l’emploi, absence systématique des pays scandinaves dans les comparaisons internationales…
L’exposé se termine sur l’idée que l’on a pu respirer lorsque l’impôt inique sur les portes et fenêtres a été aboli au début du XXe siècle, d’où le titre du livre blanc « besoin d’air » = besoin de moins de fiscalité.
Ø La bonne parole (le livre blanc)
On a ensuite pu assister au ballet des ambassadeurs du livre blanc, décrit comme un « projet participatif ».
1ère idée : il faut rationaliser la gestion de l’Etat sur le modèle de l’entreprise. « Tout ce qui réussit dans les entreprises doit être repris par l’Etat dans son fonctionnement ». « Il faut transformer l’Etat en facilitateur de vie ». Enfin, les départements doivent être supprimés pour réduire l’enchevêtrement des compétences.
2ème idée : Défendre les contribuables. Pour cela, le livre blanc propose d’inscrire dans
3ème idée : Abolir les 35h. La durée du travail doit être déterminée par accords en fonction des besoins de chaque entreprise.
Prochaine étape : les entrepreneurs sont chargés de porter la bonne parole contenue dans le livre blanc à travers toute
Ø Discours final
Résolument politique, le discours final de Laurence Parisot n’est toutefois pas dénué d’une certaine subtilité. Son argumentaire est construit sur le double rejet de la figure du déclinologue et de celle du démagogue qui « flatte les désirs d’illusions ». Si Ségolène Royal est largement égratignée (mais jamais nommément), Nicolas Sarkozy n’est pas plébiscité pour autant : le MEDEF l’attend au tournant.
Pour Laurence Parisot, les entrepreneurs incarnent le génie qui doit à nouveau animer
Elle décline ensuite les trois valeurs qui structurent le livre blanc : prospérité, liberté, durabilité et formule au passage des orientations politiques précises : il faut tout faire pour que le cycle de Doha aboutisse, la hausse du SMIC et l’abrogation de la loi sur les retraites de 2003 seraient mortels…Elle vante également le succès du CNE et fait valoir que les allègements de charge ne sont que la juste compensation du préjudice des 35h et doivent devenir de véritables abattements. Elle termine par sa proposition emblématique : 32 ans après le divorce par consentement mutuel, le MEDEF, dans son infini progressisme, se fait fort d’introduire une « séparabilité à l’amiable » qui permettrait enfin de lever les freins à l’embauche.
Elle achève son discours sur une citation de Jaurès (décidément très à la mode à droite ces jours-ci) : « Celui qui dirige est celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer ».
Laurence Parisot quitte la scène portée par une musique aux accents triomphalistes : le MEDEF est entré en campagne.
II. Mais que venaient-ils faire dans cette galère ?
Pour 2007, le MEDEF et sa présidente ont décidé de se faire entendre. Aussi ont-ils vu les choses en grand. 6000 personnes étaient présentes au POPB dont une majorité de chefs d’entreprises venus de toute
Eclairages dignes des plus grands dancefloors parisiens, musiques à la mode, multiples écrans géants, le MEDEF bouge et rajeunit, que cela se sache. Au début, on hésite entre la présentation corporate et le meeting électoral. C’est plutôt la deuxième hypothèse qui prévaut. La salle, un peu refroidie d’entrée de jeu par tout ce décorum, s’est vite manifestée, applaudissant chaudement dès qu’il était question d’abolition des 35h ou de baisse de la fiscalité. En revanche, certains sujets ont moins fait recette : les chefs d’entreprises français semblent par exemple assez peu préoccupés par l’échec annoncé des négociations à l’OMC.
L’ensemble de la réunion était animé par la sémillante Emmanuelle Gaume dont les moments de silence ont été très appréciés. Par contraste, l’assemblée a goûté le ton posé de Laurence Parisot qui a été très applaudie, en dépit de ses positions controversées au sein même du MEDEF.
Globalement, l’ambiance était à l’autocélébration. Dans l’univers medefien, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si l’Etat Léviathan ne s’obstinait pas à opprimer le « génie français ».
III Les dessous du discours
Ø La planète MEDEF : un univers harmonieux
En filigrane, se dessine une vision spécifique de l’agrégation d’individus que certains rouges osent nommer « société ». En effet, le discours du MEDEF véhicule l’image d’un espace public imaginaire, débarrassé de tous conflits, où chacun pourrait rechercher son profit personnel sans que cela influe sur le voisin. C’est finalement la représentation traditionnelle, chère à l’économie classique, d’un peuple atomisé composé d’individus rationnels.
Tout au long de l’AG, les intervenants ont insisté sur les valeurs œcuméniques de dialogue et d’échange propres à une organisation patronale qui chercherait à dresser des passerelles entre l’ensemble des acteurs sociaux. Mais ces échanges sont conçus de manière essentiellement unilatérale : étudiants et professeurs sont vivement encouragés à venir faire des stages en entreprise ; en revanche, il ne viendrait pas à l’idée des entrepreneurs de retourner à l’école…
Parallèlement, le MEDEF se cherche tout de même des cautions sociales, d’où la citation de Jaurès. Mais d’autres exemples méritent d’être signalés : l’insistance de Laurence Parisot sur l’apaisement du dialogue social » et le fait qu’elle ait souligné la présence à l’AG de Jacques Voisin et de Bernard Van Craeynest, respectivement n°1 de
Enfin, ce grand show avait aussi pour ambition de mettre en scène l’unité du mouvement patronal. Or, cette unité est largement factice. La sortie du Livre Blanc est ainsi présentée comme « l’entrée en campagne de tous les entrepreneurs », alors que sa rédaction quasi-exclusive par Mme Parisot a fait l’objet de critiques au sein même du MEDEF.
Ø Un bouc émissaire : le carcan fiscalo-administratif
Certes, les entreprises françaises sont formidables et pourtant, l’économie française est globalement moins performante que celle de ses voisins. Mais ce n’est pas la faute des entreprises. C’est la faute de l’Etat, un Etat vampire qui saigne impitoyablement les entreprises, les empêchant ainsi d’augmenter les salaires. La fiscalité est sans conteste le thème le plus fédérateur au MEDEF. Pour lui, les impôts servent essentiellement à engraisser les fonctionnaires. Mais d’où sortent donc toutes ces infrastructures qu’utilisent les entreprises et qui contribuent fortement à la compétitivité du pays ? Mystère…
Ø Le chef d’entreprise, ce héros
Le MEDEF déploie beaucoup d’efforts pour réhabiliter l’image du PDG. La vision du patron qui fait un saut au bureau, avant d’aller déjeuner copieusement en fumant de gros cigares et qui passe l’après-midi à jouer au golf a été décriée par les intervenants (tandis que certains murmuraient dans le public, « c’est quand même vrai pour certains »).
Pour décrire le chef d’entreprise, on fait beaucoup appel à des métaphores sportives : le patron serait ainsi « un capitaine d’équipe qui fédère plus qu’il ne commande », « celui qui va à la mêlée avec les autres et récolte autant de châtaignes que ses coéquipiers ».
Dans son discours final, Laurence Parisot a clairement affirmé : « on peut être très haut dans l’échelle des salaires et avoir une moralité et une éthique irréprochables ».
A l’heure où les salariés servent de plus en plus de variable d’ajustement, le MEDEF cherche à réhabiliter l’image du patron audacieux qui prend des risques et assume les dangers, par opposition aux salariés protégés. Le chef d’entreprise est celui qui n’hésite pas à se lancer… avec, de préférence, un parachute doré
Ø La langue à l’état gazeux
Le MEDEF a réussi l’exploit de porter à incandescence la vacuité du langage à laquelle trop de personnages publics nous ont déjà habitués.
Emblématiques sont les trois slogans qui ont émaillés les discours des orateurs, tous soigneusement conditionnés : « bouger les lignes », « besoin d’air », « l’entreprise c’est la vie ». Voilà un projet de société.
La palme de l’euphémisme revient tout de même au qualificatif utilisé pour décrire tous ceux qui ne sont pas blancs : ceux-là sont désormais « issus de la diversité »…
Plus globalement, ce qui relie l’ensemble des discours, c’est le refus de la complexité, l’idée qu’il n’y aurait que quelques paramètres à modifier pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Sous couvert de pragmatisme, les véritables débats ne sont jamais abordés. D’ailleurs, pour le MEDEF, il n’y a qu’une seule analyse valable à laquelle répondent solutions simplistes et slogans vides de sens.
Le MEDEF aurait grand intérêt à enrichir quelque peu son discours s’il compte réellement nourrir le débat démocratique.
Sandra Desmettre